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Climats de France de Marie Richeux

A LIRE : Climats de France - vieux bâtiment
Climats de France, ensemble architectural de Fernand Pouillon à Alger

Animatrice radiophonique sur France Culture, Marie Richeux, née en 1984, publie cette année son premier roman Climats de France.

L’origine : le choc

C’est un choc visuel en 2009 sur les hauteurs d’Alger qui est à l’origine de ce livre. Elevée en banlieue parisienne, à Meudon-la-Forêt, dans un ensemble conçu et réalisé par Fernand Pouillon, elle découvre lors d’un voyage à Alger, un ensemble similaire, bâti par le même architecte.

Lui revient alors un fait marquant de son adolescence. Une nuit, dans son immeuble de Meudon, des chants accompagnent un voisin musulman décédé, et l’empêchent de dormir.

Du choc visuel d’une certaine architecture et de ce souvenir auditif sont nés Climats de France, roman pluriel de deux pays, d’une même histoire. Et ce sont bien les sens qu’elle convoque dans ce livre pour appréhender quelques moments de la vie des personnages.

L’Algérie,  un sujet d’écriture

Marie Richeux insiste d’emblée sur le fait que rien ne la prédisposait à écrire sur l’Algérie :

« Je ne connais rien ni personne ici. Je ne viens pas sur des traces. Des lettres cachées au grenier, point. Des services militaires, mauvaises années, mauvais endroit, point. Des maisons d’enfance, des souvenirs de figues, quelques mots d’arabe dans une berceuse, rien. Quelques images peut-être ? un nom de village ? Rien. Retour vers rien. »(1)

Et pourtant, il suffira de se retrouver dans l’immense cour aux 200 colonnes de l’ensemble de « Climat de France » (sans S) sur les hauteurs d’Alger pour savoir que :

« pour aller d’un endroit à un autre, il ne suffira pas de traverser la mer, il faudra traverser la guerre, entendre la lutte et voir se déployer dans des textes et des voix une démente escalade de violence. » (2)

Traduire les impressions

L’auteure cherche à capter et à nous faire partager les « climats » en France et en Algérie, maintenant et à différents moments des 70 dernières années à travers différents personnages romancés ou véridiques.

Courts chapitres et tranches de vie

Pour y parvenir, elle organise son roman en courts chapitres qui entremêlent différentes personnes, différents évènements, différents lieux, selon la quête qu’elle mène d’une certaine vérité historique. Cependant, le lecteur doit porter attention aux têtes de chapitres qui indiquent les personnages, les lieux et les dates afin de bien se pénétrer de l’histoire racontée par la suite.

Elle tente de restituer l’ambiance algéroise des années 50 où les idéaux du maire d’Alger, Jacques Chevallier rencontrent la vision architecturale d’un Fernand Pouillon. Les « événements » ont alors déjà commencé. Ses propos sont soutenus par des textes de Jacques Chevallier, Fernand Pouillon et Germaine Tillion. Cette dernière œuvra pour améliorer le sort des paysans des Aurès et condamna les actes de violence des deux camps.

C’est aussi la vie de Malek, jeune oranais, fils unique que les parents poussent à partir pour la France. A l’issue de son service militaire en 1956, ils ont ainsi l’espoir qu’il garde la vie sauve, loin de la guerre. C’est de Paris qu’il la vit et qu’il la raconte. Puis, en 1969, il s’installe à Meudon-la-Forêtavec sa femme française, devenant ainsi beaucoup tard, le voisin de Marie.

Le soi dans la fiction

Enfin, c’est la vie de Marie, qui à partir d’un premier voyage à Alger en 2005, fait plusieurs séjours dans cette ville. Passé le premier choc de l’ensemble « Climat de France », elle retrouve ses propres impressions de ses années vécues dans « la cité heureuse », en lisière de la forêt de Meudon.  A Alger, elle mesure la dégradation des constructions.

Tout ici parle de la guerre.

« Plusieurs photos encadrées y sont alignées. Histoires emmêlées de filiation, en France, en Algérie, départs au Canada, la vie file dans le récit posé.  […] comment dit-elle sa mère « a fait la révolution » ? Comment en arrive-t-on si souvent à la guerre ? Et si vite ? Comme si tout menaçait de s’écrouler. Comme s’il fallait parler avant que ne s’effacent la mémoire, les lieux, le dessin même d’Alger et des immeubles. ». (3)

Les tabous du passé

Son parcours nous montre combien, encore aujourd’hui, et pour une jeune génération, notre lien avec l’Algérie est indéfectible. Car, si en Algérie, on parle de la guerre, de ce côté de la Méditerranée, le sujet semble toujours tabou.

Marie nous dit ne pas comprendre pourquoi Malek est devenu français-français et n’a pas demandé la double nationalité. C’est peut-être que s’il n’a pas connu dans sa chair les « ratonnades », il a forcément eu des amis ou des compatriotes qui en ont été victimes. (4) A la fin de la guerre, il valait donc mieux être Français, qu’Algérien.

Comment faire comprendre pour qui ne l’a pas vécu ce qu’est un climat de guerre même si elle n’a pas lieu sur le sol français. Ce sentiment de peur qui est prégnant dès que l’on sort de chez soi, Malek en témoigne : « Et parfois les gens passaient, tiraient pour régler des comptes la nuit, nous effrayer un peu. Certaines façades étaient trouées de mitraillettes. » (5)

A LIRE : Climats de France - livre couverture

Ce sont aux jeunes générations comme l’a fait l’an dernier Alice Zeniter avec L’art de perdre de faire émerger la parole de ceux qui ont vécu la guerre des deux côtés de la Méditerranée. Ces récits permettent de mieux comprendre les évènements et la manière dont chacun des protagonistes a pu les vivre. De cette compréhension peut naître un meilleur « vivre ensemble » des jeunes générations. Ce dialogue est nécessaire, voire indispensable, s’il n’est pas trop tard, pour combattre la montée des extrêmes comme Germaine Tillion nous a montré l’exemple.

La vie des gens

Au-delà de la quête historique, c’est la vie des gens que Marie cherche à percer à partir de ses propres impressions. On est avec elle dans l’appartement de Malek, on est avec elle dans les rues d’Alger, dans la forêt de Meudon… Grâce aux images qu’elle sait rendre par son écriture, son livre nous plonge dans ces lieux et dans les relations qu’elle tisse avec les personnes rencontrées.

Un style au service de la sensation

Son style nous donne à sentir, à voir et à imaginer comme par exemple : « le palier a la fraîcheur d’une grotte »(6) ou :

« Retour vers rien est intense. Je regarde autour, qu’est-ce que je reconnais ? Je cherche vaguement en moi et suis ramenée immédiatement au dehors, par des voix, des morceaux de chansons, des terrains de sport, grillages, vendeurs de cigarettes, bicoques, front de mer. Que c’est fragile, l’insouciance d’un soir. Qui se promène bras dessus, bras dessous, entre les lampadaires ? Les fantômes sont habiles, personne ne leur défend de circuler. La mer est un amas de noir brillant. »(7)

Plus qu’une description, c’est un voyage, un rythme des mots et des phrases qui nous emmènent à l’endroit où Marie se trouve, au-dessus de Bab El Oued, ce qu’elle voit mais aussi les impressions qu’elle ressent.

Il nous manque à la lecture sa voix mais pour ceux qui l’écoutent sur France Culture, il est facile de la placer sur ce texte, riche de sonorités, profonde de découvertes des gens, de notre histoire commune de part et d’autre de la Méditerranée « [qui] traverse la France comme la Seine Paris. » (8)

––– Auteure Colette Couderc

Références du livre Climats de France
  • Page 15
  • Page 19
  • Page 96
  • Page 127
  • Page 49
  • Page 13
  • Page 16
  • Page 90

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