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Avenida Vladimir Lénine de Constance Latourte

Le roman de Constance Latourte est né de son expérience de documentariste au Mozambique où elle a enquêté sur les exilés chiliens fuyant le régime de Pinochet. Bien que partie de son expérience, elle a créé un personnage de fiction et nous raconte comment elle a procédé. Participante au Lab’ en 2017-2018, elle a développé ses capacités de réécriture et finalisé son roman. Rémanence des mots applaudit très fort cette publication !

Comment as-tu abordé la matière réelle/documentaire ? 

Ce projet est né début 2016 quand j’ai retrouvé au fond d’un placard le carnet de voyage que j’avais écrit pendant le tournage du documentaire Khanimambo Mozambique en 2008 à Maputo. En le relisant, je me suis laissé happer par le récit de ces souvenirs que ma mémoire avait estompés avec les années. L’idée d’en faire un roman m’a tout de suite semblé évidente car il y avait beaucoup de matière. Au-delà de l’histoire de ces exilés chiliens qui me captivait depuis des années, je trouvais que raconter une expérience de tournage au Mozambique, avec ses joies et ses difficultés, était également intéressante. Le Mozambique est un pays dont on parle très peu et donc j’avais envie de partager cette expérience avec des lecteurs.

Avenida Vladimir Lénine - avenue

Pour écrire ce roman, je suis donc partie de ce carnet de voyage qui était assez conséquent en volume, mais très hétéroclite dans les idées et le contenu. J’ai donc commencé à retravailler ce texte initial et à le transformer. Je pense que partir de ma propre expérience a été à la fois un levier et un frein. Un levier car ce que j’avais vécu était très fort et que les nombreuses anecdotes alimentaient le récit. Un frein car au début, je restais très collée au carnet de voyage, tant dans le fond que dans la forme, et j’ai eu du mal à me débarrasser du carcan qu’il pouvait constituer. Au début, je voulais conserver tous les détails, tous les personnages, toutes les péripéties, alors que souvent, la réalité est trop complexe pour être racontée dans son intégralité. Peu à peu, je me suis éloignée de ce carnet de voyage, et j’ai intégré des éléments de fiction. 

Tu es partie de ton expérience de réalisation de documentaire pour écrire ce livre. Quelle forme d’écriture as-tu développée ? 

C’est difficile de qualifier cette forme d’écriture qui est à la frontière entre le carnet de voyage, le documentaire, le making-of, le roman… 

Ton personnage principal est inspiré de toi mais tu l’as fictionnalisé. Quelles ont-été tes étapes de travail ?

Le personnage de Clémence est évidemment inspiré de moi, mais peu à peu, je lui ai donné un peu de liberté. Peu à peu, son caractère se dessinait plus clairement et elle est devenue un personnage à part entière. J’imagine que si j’ai eu besoin de la « détacher » de moi, c’est aussi par pudeur.

Penses-tu que comme en documentaire, dans cette écriture littéraire, il y ait une éthique (à l’égard de son sujet, de ses personnages) à observer ? 

Je pense que dans toute création, il y a une éthique à observer. Mes personnages s’inspirent de personnes réelles. Certaines, si un jour elles lisent ce livre, se reconnaîtront facilement. J’ai essayé de rester fidèle à leurs témoignages tout en m’accordant la liberté d’inventer de nouvelles histoires, de créer des personnages fictifs. Mon principal objectif était de rester cohérente avec la réalité historique dans laquelle s’inscrivent ces histoires.

Ton travail d’écriture a duré combien de temps ? Quelles contraintes techniques as-tu rencontrées ? 

Le travail d’écriture a duré deux ans et demi (sans compter les corrections avec mon éditeur). Pendant cette période, il y a eu des semaines de travail intense, et des mois où je n’ai pas du tout touché au texte. Pendant les 18 premiers mois, ce n’était pas toujours évident de concilier vie professionnelle, personnelle et écriture. J’écrivais beaucoup le week-end (en me levant parfois à 6h le dimanche matin) ou en soirée. Pour la dernière année d’écriture, j’ai décidé de travailler à temps partiel pour pouvoir vraiment dédier du temps à la finalisation du récit. En parallèle, je suivais l’atelier d’écriture Rémanence (Lab’d’écrivain), un jeudi sur deux, ce qui m’a donné un cadre et m’a permis de me concentrer sur mon roman.

Comment présenterais-tu la ou les réécritures ? 

La question de la réécriture est intéressante parce que pendant tous ces mois, j’ai eu davantage l’impression de réécrire qu’écrire. Ajouter quelques mots, enlever une phrase, ajouter un paragraphe, changer un terme, fusionner deux personnages, supprimer une page ou un chapitre, ajouter un personnage. C’est vrai que vers la fin, j’ai pris des décisions drastiques en supprimant des chapitres entiers, mais finalement cela n’a pas été trop douloureux. Au contraire, je sentais que c’était nécessaire et que le texte gagnait en efficacité. Parfois, je me dis que j’aurais pu écrire un roman beaucoup plus long car j’ai encore mille histoires à raconter sur cette expérience, mais je crois qu’il était nécessaire de privilégier la cohérence et la clarté à l’exhaustivité.

Quels conseils donnerais-tu à une personne qui se lance dans l’écriture d’un roman ?

Mon premier conseil est de bien s’entourer. L’écriture demande beaucoup de persévérance, et c’est parfois difficile de se sentir à la hauteur d’un tel défi. Avoir confiance en son projet n’est pas toujours évident, et l’entourage peut jouer un rôle clef, dans le bon comme dans le mauvais sens. Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir plusieurs personnes autour de moi qui m’ont beaucoup encouragée, ce qui m’a vraiment aidée à aller au bout de ce projet. Un deuxième conseil serait de travailler régulièrement, si possible plusieurs fois par semaine, afin de ne pas perdre le fil de l’écriture et l’évolution des personnages. Enfin, je pense qu’il ne faut pas hésiter à se confronter régulièrement à un regard extérieur, à la fois bienveillant et critique, pour prendre du recul par rapport à son écriture. 

Avenida Vladimir Lénine - photo de couverture

Ton roman est édité par la maison d’édition Intervalles dont les thèmes tournent autour du voyage. Quel sens cela a-t-il pour toi ? 

J’ai rencontré mon éditeur au festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo en mai 2018. Il m’a présenté les publications récentes des Editions Intervalles, ce qui m’a amenée à lui parler du roman que je venais d’achever. J’ai immédiatement senti un réel intérêt chez lui par rapport au sujet de mon roman qui correspondait très bien à sa ligne éditoriale. Je lui ai envoyé mon manuscrit dans la foulée parce que j’étais très enthousiaste à l’idée d’être publiée par cette maison d’édition. 

Quels conseils as-tu retenus de la part de l’éditeur ?

Je dois dire que j’ai retenu presque tous les conseils et indications de mon éditeur, Editions Intervalles, qui s’est montré à la fois très à l’écoute et très convaincant. Si certaines propositions m’ont parfois désarçonnée au premier abord, j’ai rapidement réalisé que les modifications proposées visaient à améliorer le texte et le rendre plus accessible pour le lecteur. Mon éditeur a respecté la structure de l’histoire et les péripéties de Clémence. Les principaux changements ont concerné la ponctuation des dialogues qui étaient initialement intégrés dans le corps du texte, et les passages en langue étrangère qui étaient un peu trop nombreux (amoureuse des langues, j’oublie parfois que ce n’est pas le cas de tout le monde !) Mon éditeur a également proposé quelques coupes qui me semblaient justifiées. C’est vrai qu’il y avait quelques longueurs. D’ailleurs, lors de la dernière relecture, c’est moi qui ai proposé de nouvelles coupes. 

Je suis très satisfaite de ma collaboration avec mon éditeur car à aucun moment je ne me suis sentie dépossédée de mon roman. C’est important !

Un ou des conseils de livres, de films ?

C’est une question à laquelle j’ai bien souvent du mal à répondre, mais il se trouve que ce matin, j’ai repensé à un livre et un film qui ont beaucoup de points communs bien qu’ils aient été créés dans des pays très éloignés géographiquement. Il s’agit pour le livre du roman de l’indien Aravind Adiga, Le dernier homme de la tour, et pour le film de Aquarius du brésilien Kleber Mendonça Filho. Les deux parlent du combat d’une personne seule face aux pressions de promoteurs immobiliers pour éviter la destruction de leur logement. Je crois que j’ai beaucoup d’admiration pour tous ces résistants qui luttent contre des formes ou d’autres d’oppression.

«La voiture ralentit brusquement et me tire de mon sommeil. Un véhicule officiel est stationné sur le bas-côté. Un policier, mitraillette à la main, s’approche de la fenêtre de Rubem et lui demande ses papiers. La vitesse maximale autorisée est de 60 km/h et mon radar indique que vous alliez à 63 km/h. « La vitesse maximale autorisée est de 60 km/h et mon radar indique que vous alliez à 63 km/h. Vous devez payer une amende de mille meticals. » Calcul mental… Ça fait… Quarante dollars. Le ton cordial du policier contraste avec le maintien nerveux de sa mitraillette. Alors que je fouille dans mon portefeuille pour vérifier quelle somme d’argent j’ai emportée avec moi, Rubem se lance dans des négociations, adoptant le même ton mielleux que le policier. « Monsieur l’agent, je n’ai pas vu la limite de vitesse, je ne suis pas d’ici, vous comprenez… » Depuis quand marchande-t-on les amendes ? Tout est donc négociable dans ce pays ? De façon inexplicable, le policier et Rubem semblent tous deux vouloir faire durer l’échange. Au bout de quelques minutes, la fournaise dans l’habitacle nous oblige à descendre de voiture. « Très bien, nous allons payer l’amende. » Rubem capitule le premier. Le policier sourit, satisfait, tandis que Rubem poursuit. « Mais nous voulons un reçu. » Le sourire du policier s’évanouit. « Ne perdons pas de temps à faire un reçu, ce n’est pas nécessaire. » Mine déterminée de Rubem. « Si, je veux un reçu. » Regard dubitatif du policier. « Mais vous comprenez… » Tour à tour, ils se renvoient la balle. Rien à faire, chacun campe sur ses positions. Rubem insiste, insiste et insiste encore pour avoir une amende officielle. Le policier propose alors de baisser le prix de l’amende si nous renonçons à notre reçu. Rubem refuse net et insiste encore pour payer l’amende officielle. Les arguments reprennent, le ton monte. Je m’assieds sur un rondin de bois au bord de la route. Rubem négocie, imperturbable. À ce rythme-là, nous n’arriverons jamais à la frontière. »

Avenida Vladimir Lénine, Constance Latourte

Et ton futur projet, en cours ?

Le projet sur lequel je travaille actuellement est très différent car, bien qu’il y ait un fond historique, je ne pars pas de mon expérience, mais de situations et de personnages inventés de toutes pièces. C’est très différent au niveau de l’écriture, et c’est très stimulant de procéder différemment…


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