ENFIN SEUL !
Sous un soleil de plomb, en ce jeudi du mois d’août, un vent léger souffle sur la côte. Lulu s’enfonce un sombrero jusqu’à la limite de ses sourcils. Il pousse le pédalo flambant neuf dans l’eau et s’y installe. Il a pris un sac thermos garni de son casse-croûte et un bon bouquin. Lulu est quelqu’un de solitaire. Il n’aime pas la foule. On se demande pourquoi, chaque année, il prend ses congés en août et à la mer ?

Lulu commence à pédaler pour s’éloigner de la plage surpeuplée de gamins braillards, de corps huilés, de ballons incontrôlés, de cris, de rires, de radio, de toute cette populace qu’il exècre. Ses petites jambes maigrichonnes pédalent à fond de train. L’embarcation prend le large. Lulu sort son livre « Sur le bonheur d’être seul » et tout en continuant d’avancer sur l’eau, se plonge dans sa lecture. De temps en temps, il croque dans son sandwich au tofu fumé et boit une gorgée de kombucha au gingembre bien frais. Il est tout à son livre, ses jambes s’activent sans même qu’il y songe. La mer est calme. Le soleil brille. Tout va bien.
Lulu lève le nez de ses pages et regarde devant lui. L’horizon vide. Rien que de l’eau. Plus un souffle de vent. Il tourne la tête à droite, puis à gauche, de l’eau à perte de vue. Il jubile, il soupire d’aise, « Enfin seul, enfin libre, enfin au calme ! Fini de supporter ces sales mômes qui braillent, ces bonnes femmes et leurs rires idiots et tous ces types et leur fichue radio. Quel trésor que ce silence juste interrompu par le clapotis de l’eau contre les flotteurs. Il ne manque que le cri des mouettes. Tiens, les mouettes, elles sont où les mouettes ? D’habitude elles sont légion près des côtes. » Il fait faire un demi-tour à son pédalo pour regarder la côte. Rien, pas de côte, toujours de l’eau, rien que de l’eau.
« Mais où est la côte ? » se demande-t-il. Lulu s’inquiète. Comment est-ce possible d’être allé si loin ? Il ne sait pas par où continuer pour regagner la plage. Le soleil est descendu bien bas. Il n’a pas de montre, quelle heure est-il ? Le temps est passé si vite. Lulu s’agite, soupire, commence à geindre puis à pleurnicher tout seul sur son pédalo. Quel idiot ce Lulu, au lieu de pleurer il ferait mieux de pédaler ! Tout à ses pleurs, Lulu n’a pas remarqué le tentacule qui s’est invité à bord. C’est un gros tentacule rejoint bientôt, par un second. Il chatouille les orteils de Lulu qui se redresse et pousse un cri. « Ah ! Qu’est-ce que c’est ? » alors, de la mer surgit un calamar géant recouvert d’algues et de coquillages incrustés. Il se saisit de l’embarcation et la brise entre ses bras gluants. Lulu hurle à s’en déchirer la poitrine. Il se débat dans l’eau sombre mais il est aussitôt aspiré par le bec énorme et infecte qui le broie d’un coup sec.
▶ Blanche Jumel participant.e aux ateliers d’écriture que nous proposons.
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