HORS SAISON de Basile Mulciba
Quelle joie de féliciter la publication de Hors saison de Basile Mulciba chez Gallimard, Collection Blanche ! Eh oui, c’est une oeuvre dont on a découvert une partie des secrets de fabrication. Basile a été accompagné en Lab’ accompagnement de manuscrit par Mathilde. Il est arrivé avec un scénario de court-métrage et a su tirer profit du dispositif de l’atelier d’écriture pour lui donner peu à peu plus d’ampleur et répondre aux enjeux purement littéraires de son projet. Il a bénéficié de l’émulation d’un groupe, a su faire le tri des conseils, puis gagner en autonomie. Basile Mulciba s’est peu à peu affirmé comme auteur.
HORS SAISON, Premier roman
Hors saison est un récit à la troisième personne si singulière qu’on croit l’entendre nous susurrer « je ». On adopte parfaitement la perspective subjective de Yann qui nous met en situation, avec lui, d’observateurs de la fin – non spectaculaire – d’un monde.
Yann est en 4e année de médecine au moment où il décide secrètement, sur un coup de tête, de mettre en suspens ses études pour travailler comme saisonnier dans une station de ski, alors qu’il n’a jamais mis les pieds sur un ski de sa vie. Il rejoint une petite équipe d’habitués à l’arrivée progressive, sous la direction du propriétaire de l’hôtel, Hans. Mais la neige tarde à arriver et avec elle, les touristes. L’attente, l’absence de maîtrise de la situation, les conséquences économiques vont vider progressivement la station de sa population. Seules quelques personnes décideront de rester, dont Yann et Hans. Peut-être attendent-ils autre chose que la neige ?
Ne vous méprenez pas. Il ne s’agit pas d’un livre sur le désoeuvrement et l’ennui. Cette situation concerne les autres habitants de la station, mais pas Yann et Hans. Ce dernier a des papiers à trier, une liquidation judiciaire à préparer. Et Yann ? Yann regarde. Il regarde activement.
« Yann voulait voir. Il voulait assister, être témoin de ce qui allait advenir, continuer à vivre, à s’imprégner, à arpenter cette station et ce recoin isolé de montagne qui, chaque jour, se vidaient, se retiraient et s’effaçaient un peu plus du monde. Il se sentait empli d’une excitation et d’une impatience sourdes, investi d’une mission d’observateur des événements, du basculement en cours, comme un gardien de phare contemple la tempête, fasciné par l’ampleur des ravages à venir. »
REGARDER PLEINEMENT LA FIN
Basile Mulciba ne cède pas au récit introspectif, accordant plutôt à son personnage la possibilité de voir avec une sensibilité sensorielle accrue de ce qui l’entoure. Il ne s’agit pas d’une contemplation béate, mais d’une attention complète portée aux détails qui composent l’atmosphère des lieux. Cette observation perçante qui scrute chaque élément sensible, peu à peu, nous révèle l’intériorité du personnage. Peu à peu, Yann est pénétré par son environnement : des couloirs de l’hôtel vide, aux rues désertes de la station, en passant par les chemins secs de randonnée. On ne sait plus si les lieux reflètent ses états d’âme ou si son état d’âme est occasionné par les lieux.
Rien n’est flou dans Hors saison. Basile Mulciba décrit ce que voit Yann en zoomant sur les détails, jouant de gros plans et d’inserts. Et parfois, il laisse la scène avancer et le temps s’écouler pour montrer la vie d’un groupe, le soir du 31 décembre notamment.
« Charlotte et deux autres jeunes femmes les rejoignirent et ils se serrèrent autour de la table. Les regards malicieux, les mains qui se frôlent en se tendant des bières, les rires qui éclatent et les railleries qui fusent, tout semblait ce soir-là un peu plus facile à Yann. […]
A la fin, des croûtes de fromage, des assiettes sales où on avait laissé de l’omelette parce qu’on avait battu les oeufs sans faire attention aux coquilles, des verres et des bouteilles qui passaient de main en main depuis longtemps, tout cela jonchait la table. Le cendrier s’était rempli et débordait de mégots, de filtres jaunis et de petits morceaux de cartons. On s’accorda pour laisser tout ça à plus tard et on s’enlaça avant de se quitter. »
TEMPS DILATE
Ce qui est remarquable, c’est que la description ne suspend pas le temps, elle le dilate. Cette dilatation augmente la sensation d’attente chez le lecteur. Décrire avec précision les scènes de vie, les personnages et les lieux, le lecteur procède d’une immersion et entraîne ainsi le suspense.
« Le lendemain, il ne neigea pas.
Ceux qui allèrent se coucher aux aurores, engourdis et titubants, sous le poids de la nuit, croisèrent les autres, ceux dont le réveillon avait été bref et qui s’étaient réveillés tôt, bien avant que le jour ne se lève, pour découvrir les premiers la neige qui aurait dû tomber. Mais la station était comme la veille, grise, bitumée, les pentes de la montagne, vertes et nues. Une couche de nuages duveteux, lourds et sombres, s’accrochait aux crêtes et semblait prête à se déverser dans la vallée. ‘Le ciel nous nargue, entendait-on.’ »
N’oublions pas, cependant, que le suspense naît également des noeuds dramatiques qui habitent Hans et Yann. Le premier va-t-il devoir vendre l’hôtel et changer de vie ? Yann abandonnera-t-il médecine ? Ils sont chacun à un point charnière de leur existence. Mais jamais ils ne l’analysent. Ils suivent plutôt le mouvement progressif et imperceptible de la nature que personne ne maîtrise.
Dans le roman, la langueur et la mélancolie sont des trompe-l’oeil. Ce n’est pas ce qui habite le protagoniste. C’est l’attente des autres que l’on pourrait rapprocher de l’ennui.
« Pendant une semaine, des masses d’air glacé venues du nord succédèrent aux pluies humides, gorgées des eaux chaudes de l’océan, sans que jamais les phénomènes ne se croisent ou ne se superposent. Les quelques personnes qui demeuraient en station et que Yann et Hans croisaient n’acceptaient pas de ne plus comprendre, de ne plus rien maîtriser. »
LA MONTAGNE MAGIQUE
Basile Mulciba articule subtilement le contexte « documentaire » : situation climatique, effets économiques de la station et de l’hôtel, à l’imprévisibilité de la nature. La montagne représente un espace d’isolement hors du temps. Les personnages paraissent vivre dans une bulle temporelle. On ne peut pas oublier La montagne magique de Thomas Mann où un certain Hans (Hans Castorp chez Mann), de passage, va finalement prolonger son séjour de 7 ans. Le clin d’oeil est même manifeste, puisque Joachim (Joachim Ziemssen, chez Mann) propose à Yann de lire La mort à Venise. C’est d’ailleurs une scène avec une pointe d’humour qui ne souffre pas de la référence marquée.
Finalement, Hors saison nous écarte du cycle naturel avec une pause sur un moment éphémère de la vie de Yann qui aura pourtant un effet durable et déterminant dans son avenir. C’est ainsi que l’on peut parler de roman d’initiation.
Basile Mulciba a d’autres projets d’écriture très prometteurs donc affaire à suivre de près !
BASILE MULCIBA PRESENTE SON ROMAN
Une vidéo proposée et diffusée par la Librairie Mollat.
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Félicitations à Basile ! En tant que fidèles de Rémanence, nous sommes quelque part tous un peu fiers de sa réussite. Et quelle réussite ! Publier son premier roman chez Gallimard ! Et Bravo à Mathilde qui a su accompagner l’émergence d’un nouvel écrivain.
Félicitations transmises à Basile qui viendra vous en dire un peu plus sur son expérience de publication ! Quel manuscrit sera le prochain en librairie… ?!