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Humain-animal

A l’occasion de la sortie de son roman « Le Chant du poulet sous vide », chez POL, Lucie Rico a animé un atelier d’écriture créative mettant en lien l’humain et l’animal. Rémi Tilmont avait écrit, lors de ce Café stylo, quelques textes. En voici une sélection !

Séquence d’écriture 3 

A partir du plat de Bérénice « Cœurs de moineaux au flanc pâtissier 
revisité, salade de bonbons divers à la gélatine de porc », Rémi a 
imaginé… à vous de lire ! 

Les petits cœurs se mettent à battre, tamponnent les parois du ramequin, rebondissent, et à chaque saut, retrouvent un peu plus de leur forme animale.

Un rebond, la paillasse est atteinte, une aile repousse, et se met à battre comme bat le petit cœur de l’oiselet.

Nouveau rebond, une deuxième aile.

Quand ils touchent le sol, c’est deux pattes qui leur poussent. Bientôt, les moineaux chantent de nouveau et virevoltent dans l’office. L’œuf a quitté le flanc pâtissier pour réintégrer le flanc de l’animal.

On entend sous la table un grognement prononcé, un reniflement peu élégant… c’est un petit porcelet qui a retrouvé forme humaine, ou plutôt, forme porcine… Une régénération animale complète à partir de la simple gélatine des bonbons. De ces bonbons, il ne reste plus qu’une légère couleur bleutée, et comme un tatouage en forme de petit bonhomme bleu en bonnet blanc, caché derrière l’oreille du cochon.

Toute cette animalerie fait un joyeux tintamarre dans l’espace réduit de l’office.

La gouvernante entre en trombe d’un coup de hanche dans la porte battante.

Humain-animal / Rose Photos de Glace Cool Présentation


Séquence d’écriture 4

Rémi, comme ses camarades, devait inventer la 
biographie d’un animal domestique (tiens tiens ça nous rappelle une 
histoire de Paule et ses poulets chez POL, par Rico Lucie !)

Oh, Babe, Babe, it’s a wild world. Babe, mon petit cochon d’office, quelle vie de chien tu as eue.

Avec ta chair de poule permanente, que je caressais parfois sous le vieux chêne pour te réchauffer… tu souffrais tant du froid et de l’humidité du château.

Babe, mon tendre bébé rosé, tu avais un vrai caractère digne de ton rang. Doux comme la laine d’un agneau. Doux comme un nuage, comme un marshmallow. Un vrai caractère de coton.

On ne savait pas quand tu étais né. Nous t’avions trouvé sous la table, un soir, grognant pour faire fuir des petits moineaux qui s’étaient introduits par une vitre cassée de la réserve. Ils avaient dévoré le dessert que nous avait préparé Maryse ; elle avait râlé. Elle râle beaucoup, Maryse, dans sa remise.

C’était en janvier, il faisait un temps de chien, mais c’est toi qui nous es apparu.

C’était en 86, je crois. Je me souviens parce que c’était l’année du singe et je m’étais dit tiens, c’est l’année du singe, drôle de coïncidence ; et puis en fait, non, même pas.

Tu as grogné, Maryse a crié, on t’a attrapé. Tu as reniflé, Maxime a rigolé, on t’a adopté.

Avec ton petit tatouage bleu, on te reconnaissait facilement lors de nos sorties au supermarché. Patrice le boucher t’aimait bien. Il t’appelait « petit jambonneau de misère » depuis que tu lui avais croqué un doigt.

On avait tous vu dans ton geste digitovore une vengance de l’espèce, une attaque en miroir du cochon sur l’homme, une action d’un œil pour un œil, d’une dent pour une dent, et d’un doigt pour un jambon.

Mais ce soir-là, Maryse nous avait dit qu’elle avait oublié de te nourrir avant de sortir. Comme quoi, on voit le mal partout, tu avais juste faim. Patrice en rigolait encore il y a peu. En fait non, même pas.

Babe, Babe, one more time, reviens-nous. Tu es parti trop vite. Satané cochonavirus.

Nos cœurs de poule se languissent de tes petits grognements presque humains, en tous cas, de ces humains que nous on fréquente ici au château.

Et si tu ne reviens pas, alors bon vent. Que ta truffe profite à d’autres amateurs de truffes.

Dans ce monde ou dans un autre, dans ton corps ou dans un autre, rejoins le bon port, petit porc.


Séquence d’écriture 5

TRISTE CARNAVAL

Bip–Bip–Bip.

8h – Tension 15/7. Température 38,5°.

Patient encore sous sédatifs, pouls et respiration stables.

Quelques saignements sont à observer sous les pansements dorsaux.

Doigts apparemment en phase de récupération si l’on s’en tient à l’odeur des 10 pansements.  Pouce un peu gonflé, pourrait expliquer la température élevée. Inoculation d’antipyrétiques par intraveineuse.

Que t’est-il arrivé, Cyriaque. T’a-t-on tant maltraité que tu aies voulu te faire greffer de tels d’artifices ?

Pourquoi ce besoin de s’enfuir ou de faire fuir ? Qui crains-tu, qui fuis-tu ?

Bip-Bip-Bip

9 h – Tension 15/7. Température 38°.

Fléchissement de température confirme une bonne acceptation du Doliprane.

Pansement dorsal stable.

Pansements digitaux stables.

Ophélie ne lève pas la tête lorsque l’infirmière rentre. Elle ne la lève pas quand l’infirmière sort.

Cyriaque, mon amour, je n’ai pas entendu tes cris, tes appels, tes souffrances. Cette obsession pour les plumes, pour les oiseaux et pour les lions. Comment voir dans un abonnement à National Geographic le SOS d’un terrien en détresse.

Bip-Bip-Bip

11 h – Tension 17/8. Température 37°.

Le patient semble en souffrance. Sommeil agité. Dose de sédatifs réduite de moitié depuis 30 minutes comme l’indique le protocole.

Pansement dorsal non vérifié faute de temps – nous sommes en sous-effectif ce matin.

Pansements digitaux légèrement rosés – à vérifier dans 30 minutes.

Pas de bruit dans les couloirs de cette clinique futuriste mais tellement hors du temps.

Ophélie pense à leur conversation le mois dernier.

Ophélie pleure.

Bip-Bip-Bip

11 h 30 – Tension 15/7. Température 38°.

Patient moins agîté mais sueur frontale perlante et température en hausse. Pas de cause apparente.

Pansement dorsal humide et pourpre. Soupçon de rejet de greffe. Médecin appelé en urgence.

Pansements digitaux retirés – 8 greffes sur 10 en cours de rejet évident.

Conjointe du patient évacuée de la chambre.

Ophélie, ne respire plus, assise dans le couloir devant la porte 102. Au loin, on entend un cri de cochon qu’on égorge. Le cri vient d’un autre étage, mais la tension l’atteint au cœur. Dans la chambre de Cyriaque les machines s’emballent.

Ophélie attend un signe.

Bip-Bip-Bip-Bip-Bip

11 h 42 – Tension 18/8. Température 40,5°.

Patient en apparente transe. Agitation frénétique. Tremblements qui ressemblent à des frétillements. Le patient oscille le bassin comme au sortir d’une mare.

Le pansement dorsal est tombé. Contrairement aux griffes, la greffe des plumes semble avoir pris au-delà de toute espérance. Le patient se redresse en hurlant. En chantant, même. Un chant inédit dans cette clinique.

Ophélie ne respire toujours pas. Son cœur s’accélère. De l’intérieur de la chambre, un chant retentit. Un chant inhumain. Un chant animal, magnifique et terrible. Est-il celui d’une naissance, ou d’une mort proche ? La fin d’un avant pour Cyriaque, ou le début d’un après ?

Ophélie attendait un signe. Mais c’est un cygne, qu’elle entend.

_____ Textes écrits par Rémi Tilmont

►Acheter responsable auprès des librairies indépendantes Le chant du poulet sous vide 


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