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L’humeur vagabonde d’Antoine Blondin

 Ce roman signé d’un auteur, qui n’a injustement pas rejoint le rang des classiques, a fait l’objet d’une nouvelle publication initiée par la maison d’édition La Table Ronde, dans la collection « La Petite Vermillon », filiale du Groupe Madrigall dirigé par Antoine Gallimard, qui réunit notamment Gallimard et Flammarion. 


Contexte littéraire d’Antoine Blondin

Associé au mouvement littéraire des Hussards, la légende d’Antoine Blondin – qu’il a largement contribué à cultiver – masque une œuvre qui mérite pourtant l’attention. Les Hussards sont ainsi désignés par des critiques. Ils distinguent la démarche de quelques auteurs, – comme Michel Déon, Roger Nimier, notamment –, de la démarche existentialiste sartrienne. Ce « mouvement » est un étiquetage extérieur qui ne dit rien d’un style ou quelconque dogme collectif mais plutôt d’une posture misant sur l’art du récit et un soin apporté au style. Antoine Blondin aime les mots d’esprit et autres calembours et se met en scène avec une certaine malice, au point de brouiller les pistes autobiographiques. Ses frasques alcoolisées, et cette association à un mouvement estampillé de droite, contribuent à focaliser l’intérêt sur le personnage, le confondant avec l’homme, éclipsant l’écrivain. Les axes de lecture nés du café littéraire portent sur la création littéraire de L’humeur vagabonde, et seulement sur cet objet littéraire. 

Contexte narratif de L’humeur vagabonde

La vie reprend peu à peu après la période trouble de la Seconde Guerre mondiale. Les trains roulent de nouveau, reliant la province à Paris. Benoît Laborie se laisse porter jusqu’à la capitale, soutenu de loin par sa mère, moins par son épouse qu’il « abandonne » avec leurs enfants. A Paris, même si sa mère a cultivé des liens avec des connaissances et la famille à travers une correspondance à sens unique, les portes et les opportunités ne s’ouvrent pas à Benoît Laborie qui atterrit dans un hôtel de passe, sans s’en apercevoir. Laborie s’égare à Paris, au Père-Lachaise. Pour reprendre le fil, il décide de rentrer dans sa ville natale, retrouver sa femme. A son retour, le drame se produit sous ses yeux. Un drame qui contribue à donner un peu de trouble à ce personnage auto-qualifié d’ « insignifiant » et à le mettre dans la lumière du Tout-Paris, un temps. La solitude du personnage est permanente et ses tentatives de socialisation le mènent sans cesse à se confronter aux faux-semblant et à l’hypocrisie d’un milieu qui suit pour seul mouvement les modes. 

La structure narrative du roman

La construction du récit de Blondin suit un processus classique. On peut le rapprocher notamment de Balzac, une référence revendiquée par l’auteur. Pour autant, si la présentation de la quatrième de couverture associe le personnage de Benoît Laborie à Rastignac, c’est certainement une tromperie. Plutôt que de ressembler au modèle, le personnage de Benoît va se laisser porter par les événements. D’ailleurs, tout le récit va à contre-courant des promesses d’un départ à la capitale : aventure, réussite, spectacle. Mais tout est chaque fois « brisé dans l’œuf » ou devient « le revers de la médaille », comme le souligne le schéma narratif du roman. On est plongé dans un trompe-l’œil assumé, le trajet du roman finalement.

Le découpage du livre

Le livre est conçu en deux parties. La première présente le départ, l’arrivée à Paris, une suite de déconvenues, jusqu’au retour à la maison. La seconde partie est le retour à Paris, construite selon un schéma d’actions inversé. Benoît Laborie rencontre les mêmes personnages, dans la seconde partie, mais au lieu d’être à l’écart, comme précédemment, il est désormais au centre de l’attention. Les personnages ne sont pas moins superficiels et artificieux, au contraire, cette deuxième partie renforce la première impression, en regard de la précédente. 

L’ellipse dans le récit : un vide narratif au service du drame

Le basculement dans la vie de Laborie intervient très rapidement. L’assassinat de sa femme est révélé dans un passage elliptique. L’auteur ne dramatise pas l’événement. Cela crée un effet de fidélité au temps d’un crime : un coup de feu, un instant, la mort. Mais cela vise à créer un impact émotionnel très fort. Le passage à la partie suivante est marqué par une page blanche. La délimitation est nette. La partie 2 est d’autant plus forte que le décès n’est pas mentionné. On évoque un élément de la vie de Denise comme ayant échappé à la connaissance de son époux :« Denise était membre honoraire de la fanfare. Je l’ignorais. » (P. 129). On délivre une part cachée de la défunte, on dévoile une ellipse dans sa vie.

Café Littéraire autour d’Antoine Blondin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Incipit [Début]

« Après la Seconde Guerre mondiale, les trains recommencèrent à rouler. On rétablit le tortillard qui reliait notre village à la préfecture. J’en profitai pour abandonner ma femme et mes enfants qui ne parlaient pas encore. Ma femme, elle, ne parlait plus. C’est donc dans un grand silence que je pris le chemin de la gare, par l’avenue dont les platanes venaient d’être émondés. Ces moignons d’arbres ouvraient devant moi un itinéraire d’hiver, rendu sensible par le contraste d’une campagne croulante de feuillages et de grappes. On était à la fin du mois d’août. Je n’avais pas très chaud au cœur. »

– L’Humeur vagabonde, Antoine Blondin (page 11)

Dans un texte, publié dans l’édition de La Table Ronde, probablement en grande partie fictionnel, Antoine Blondin revient sur la (prétendue) genèse de ce roman. « [B]rusquement, il me vient une phrase simpleun lieu commun, tellement commun qu’il en devient absurde. », Antoine Blondin évoque même une « platitude » au sujet de cette phrase. Il ajoute : « Alors, je continue dans le système ferroviaire, et j’écris : ‘’On rétablit le tortillard qui reliait la préfecture à mon village natal.’’ Un point. […] Pourquoi ai-je écrit cela ? Je n’en sais strictement rien, mais ça me fait maintenant trois à quatre lignes, avec la phrase précédente, et ça me dit qu’on est en 1945, que je suis né dans un village, ce qui est absolument faux, non loin d’une préfecture qu’il va falloir situer et que je suis un paysan. Je continue : ‘’J’en profitai pour abandonner ma femme et mes enfants qui ne parlaient pas encore.’’ Point. Et là je me fais une petite fête, et je dis ‘’ma femme, elle ne parlait plus’’, et j’ajoute très logiquement : ‘’C’est donc dans un grand silence que je pris le chemin de la gare, par l’avenue dont les platanes venaient d’être émondés.’’ Un point. […] je m’aperçois brusquement que tout le roman est contenu dans ces cinq petites phrases et qu’il ne me reste plus qu’à le développer.[…] ces phrases accidentelles […] parce qu’elles débouchent sur un roman, me révèlent ou vont me révéler au fil des lignes que le roman puise des racines très profondes en nous, et rejoint pour y alimenter son jaillissement des nappes souterraines et profondes de notre personnalité, de notre sensibilité surtout […] »

Lire un extrait du texte d’Antoine Blondin « Libres propos » dans Le Monde

Peu importent les conditions qui mènent à la création de cet incipit, ce qui est important, c’est bien le fait qu’il contienne la thématique du roman et condense les enjeux du récit. Ajoutons que l’incipit entre en résonance avec l’excipit

★ Excipit [Fin]

« Un jour, nous prendrons des trains qui partent. »

– L’Humeur vagabonde, Antoine Blondin (page 195)

Le début et la fin sont conçus comme une boucle et peut-être même un système ferroviaire qui tournerait en rond, à vide. Le départ est ici pris à contre-courant du « départ en aventure ». Même le paysage qui devrait être estival et agréable semble « amputé » manquer de quelque chose, de spectaculaire, de romanesque. Cela crée un effet de peinture ordinaire soulignée par l’ironie. La fin est un « faux » retour à la case départ puisqu’on est sur un tournage. 

Ce « faux départ », cette illusion du mouvement, cette absence d’aventure, cette vacuité… tout est, comme le dit Blondin, « contenu dans ces quelques lignes », comme un « teaser », un résumé, un avant-goût.

Axe de discussion littéraire thématique

Tout dans le roman contribue à jouer sur les faux-semblant, le masque social, questionnant ainsi l’identité. Benoît Laborie ne se sent pas à sa place à la campagne. Il ne trouve pas non plus sa place à la ville. Cette question de la place est permanente et mène le personnage dans des situations de malentendus assez fréquentes. Benoît prend un hôtel de passe pour un hôtel ordinaire et n’y comprend pas les codes. Et, bien souvent, on prend Benoît pour un autre.Benoît est pris pour un autre à la fête du cousin. Cela engage un quiproquo avec des questions-réponses à double-sens. Après cette humiliation, Laborie conclut « Peut-être ne s’agissait-il pas de moi. » (page 53), comme une forme de déni ou une naïveté feinte. 

Malentendu 

Quand il revient à Paris dans la seconde partie, on le prend pour un autre et il s’en satisfait : « Les avocats me prennent pour un écrivain, les écrivains me prennent pour un avocat, les femmes pour un poète, et il n’est pas désagréable de se prendre vaguement soi-même pour tout cela. » (page 172). Et l’habit « fait le moine » : « A cet égard, mon avenir dépendait beaucoup de mes cravates. » (page 49). Cette phrase-éclair résume la superficialité des personnes auprès de qui il doit créer son réseau, le masque social qu’il doit revêtir. Même principe, appréhendé involontairement, quand, à la cabine téléphonique, Benoît recherche un homme de sa région ayant fait fortune à Paris, Amouroux, sous le regard suspicieux des employés. Quand il évoque le décès de cet homme qu’il a à peine côtoyé, l’employée change de comportement. A Laborie de conclure : « Le deuil nous habille ».

Mise en scène et faux-semblant

La reconstitution du crime ressemble à une mise en scène de cinéma. Le procès réduit les personnages à « des caricatures de [eux]-mêmes ». Dans la première partie, Benoît découvre qu’il est observé à travers une vitre sans tain dans son hôtel, le forçant à adopter un une posture anti-naturelle : « Et je me surpris à me brosser les dents dans un rictus d’affiche publicitaire ». Il ne va pas « chercher au-delà que de les retourner pour savoir ce qu’il y a derrière. » La découverte de ce miroir sans tain crée un effet d’hôtel à double fond qui creuse le labyrinthe que devient Paris pour le personnage. Dans la seconde partie, on a le reflet inversé de cette situation qui se retrouve mis au centre de la scène lors des repas mondains organisés par sa cousine. Il n’est plus regardé en cachette mais mis volontairement au centre. 

A force d’être pris pour un autre, jusqu’à ce que son insignifiance ne puisse plus échapper à Myriam, la cousine, il devient figurant où les cachets sont « […] impliqué[s] par notre néant de la veille. » Le train est un faux train mais renvoie au voyage réel du début qui ne serait peut-être qu’un « déplacement » de coquille vide.

Le Style du roman

★ Phrases et composition

Si la question de la place du personnage est en jeu, celle des mots n’est pas à remettre en question. Précision et rythme dynamique stimulent l’œil et l’imaginaire du lecteur. L’écriture n’est pas minimaliste, l’écriture est une affaire de « tailleur » et elles vont « comme un gant » à Benoît. Les effets de surprise qu’elles ménagent, les traits d’humour, les jeux de mots mettent le lecteur en alerte et génèrent un vrai plaisir esthétique. 

★ Figures de style

On retiendra l’attrait pour la métaphore poétique, les jeux de mots et les clins d’œil littéraires. C’est certainement un goût du pastiche, de l’imitation, de la réinvention qui anime l’auteur en prenant position par rapport à Rastignac. On trouve aussi des figures de construction, type zeugmes qui vont bien avec la concision des phrases et un goût pour les formules éclair. 

★ Ton & jeux de mots

A travers les non-dits, les constructions de phrases par allusion ou euphémisme, Blondin crée une mise à distance du récit, une forme d’ironie qui scelle la connivence avec le lecteur et met en scène la « fabrication du spectacle » au cœur du récit. Ce type de mise en abyme est très utilisée par Echenoz également. L’auteur crée un décalage entre la réalité perçue par le narrateur et celle que devine le lecteur à travers des situations absurdes ou grotesques. Les quiproquos y participent grandement et sont conçus à travers des calembours qui visent à jouer sur les multiples sens d’un mot et créer des effets d’équivoque. L’humour est parfois assez grinçant. La légèreté est dans le ton, en apparence désinvolte : « Il faut que ce soit drôle puisque ce n’est pas gai » disait Blondin. 

 


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