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LUEURS, Estelle Rocchitelli

LUEURS - illustration

Je ne peux plus sortir le jour

Je ne peux plus sortir le jour. Ça ne marche plus, depuis quelque temps. Dès que je me retrouve dans la rue, je sens que quelque chose cloche, quelque chose n’est pas clair, alors je recule vers la porte, et je rentre chez moi.

La nuit c’est plus facile

La nuit c’est plus facile. C’est même élémentaire. J’ai décalé mes horaires. Réveil vers vingt heures, je m’habille, je sors. Il n’y a pas de plan, je marche, j’attends. J’ai gardé mes tocs du jour : le pied gauche en premier sur la dalle du sol, deux, trois, quatre pas, le droit termine la marche, changement de dalle. Mes pieds restent coopératifs, et sans vraiment se consulter, on avance dans la ville, mes jambes et moi. Traverser la place, piétiner les bandes blanches, tourner dans les ruelles.

Le rythme est régulier, toujours.

LUEURS - bâtiments

Arrive le moment que je préfère : la marche s’arrête, sans raison. Les yeux se détachent du sol. Rien de ce qui m’entoure m’est connu. La ville murmure, grince, la nuit doucement se dépose sur mes épaules.

Il y a dans les lueurs, le reflet des enseignes sur le sol humide, une promesse tacite, un peut-être esquissé. Ce soir, suggèrent les murs, quelque chose peut arriver.

Je perds mon temps, souvent, le jour

Je perds mon temps, souvent, le jour, à questionner le sens de la formule. Qu’est-ce qui est quelque chose, qu’est-ce qui arrive, et qu’est-ce qui est différent de ce qui n’arrive pas, ce qui estdéjà. La nuit je rejette le magma des pensées, le dépouille de ces contours, et ne reste que ça, un espoir, quelque chose peut arriver.

 La pluie dans les ruelles, le silence des portes closes, une bougie à la fenêtre, et ça y est, c’est là. J’y crois. Croire me suffit. Si rien n’arrive, je n’en voudrais pas à la nuit. Parfois ce n’est que ça. Être effleuré, désarmé par les heures.

Minuit passé depuis longtemps sans doute

Minuit passé depuis longtemps sans doute, et je n’ai pas cessé de marcher. Il y a dans les pas une fièvre secrète, un élan qui ne dit pas son nom, mais qui pousse à arpenter encore, à explorer chaque coin de trottoir, chaque escalier, chaque pavé des quais. Je n’ai pas faim et la fatigue me glisse des mains. Je cille pour lui dire au revoir.

Sur le pont désert, je me penche vers le fleuve, et cette fois, m’arrête. Une cannette solitaire roule en contrebas. L’eau m’offre ses brillances, son obscurité retenue. Je contracte le front pour retenir le répit donné par la nuit.

Demain j’aurais tout oublié.

 

Estelle Rocchitelli est inscrite en atelier d’écriture en présentiel Lab’. Elle prépare un roman qui nous présente un autre lieu, une autre ambiance, d’autres personnages, d’autres points de vue. Un peu de patience : WORK IN PROGRESS. Ce texte a été produit lors d’un atelier autour de la thématique de la NUIT !


▶ Estelle Rocchitelli participant.e aux ateliers d’écriture que nous proposons.
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