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Micro-fiction 

Comment écrire une micro-fiction ?

Vous n’avez pas plus de 2 minutes à consacrer à la lecture d’une œuvre de la littérature ? Il existe la micro-fiction, parfaite pour stimuler votre imaginaire ! Par contre, si vous en manquez, de temps, la micro-fiction risque de ne pas tout à fait vous convenir. Mais voici quand même un « mode d’emploi » !

La micro-fiction n’est pas une sous-catégorie de la nouvelle mais bien un genre à part entière. La structure narrative, les figures de style convoquées et les codes de longueur contribuent à faire de la micro-fiction un genre exigeant. Ne croyez pas que cette pratique littéraire soit réservée aux feignants, au contraire ! Vous trouverez dans cet article une tentative de décryptage.

Définition de la micro-fiction

D’abord, revenons à la fiction. L’origine latine du mot est fictio « action de façonner ; action de feindre » et, par extension, « tromperie, duperie ». Il s’agit donc d’une création imaginaire plus ou moins inspirée de la réalité. Dans le cadre d’une œuvre artistique, qu’elle soit littéraire, cinématographique ou théâtrale, le lecteur/spectateur détecte les codes de la fiction. Même s’il a une illusion de réel, il sait que ce n’est pas vrai.

Ne nous égarons pas, la question de la fiction et du « Mentir vrai », travaillée en atelier d’écriture, fera l’objet d’un article à part entière. Mais une mise au point s’imposait !

La micro-fiction est donc une « petite » fiction. Mais, pour donner corps à la fiction, il faut qu’elle soit composée comme un récit. Une histoire est racontée à travers une micro-fiction, une petite histoire, certes, mais complète, avec un début, un milieu et une fin. La forme brève impose une condensation des éléments narratifs (les éléments qui reconstituent l’histoire).

En bref…

La micro-fiction est un bref récit de fiction – avec un début, un développement, une fin condensés – qui relève du croquis et/ou de la suggestion. Son caractère elliptique offre une place à l’interprétation du lecteur.

Une nouvelle, est-ce une micro-fiction ?

Non. Certes, la nouvelle est un genre synthétique qui, comme la micro-fiction, se clôt sur lui-même. L’attention est concentrée sur peu de personnages, une limite du décor et une restriction d’événements.

Mais ce qui permet de distinguer la nouvelle de la micro-fiction, c’est le nombre de caractères espaces comprises [Eh oui ! en typographie, c’est au féminin… l’espace est le nom que l’on donnait à la lame qui séparait les mots dans l’imprimerie]. La micro-fiction comprend entre 1000 caractères espaces comprises et 4 mots. La nouvelle contient entre 2500 et 17500 caractères.

Au sein de la micro-fiction, on peut identifier des classifications de formes brèves à très très très brèves ! On parlera de flash-fiction (en anglais) ou fiction-éclair, pour la plus courte. Et fiction soudaine pour la plus longue.

La question du nombre de mots n’est pas anecdotique puisqu’elle va influer sur la construction du récit et le style du texte. En effet, la narration est un art de la durée. Si l’on doit résumer, restreindre les informations narratives, on va simplement moins s’étaler sur les faits ou les états d’âme des personnages (à la différence du roman qui peut prendre son temps et user, voire abuser, des parenthèses, arrêts sur image et autres digressions). Par conséquent, l’auteur va accélérer les actions, économiser les mots et lisser les formulations. Tout est alors affaire de construction narrative. Parce que l’on travaille l’ellipse, le manque, dans la micro-fiction, il y a peu de place aux explications. C’est l’incongruité et l’absence de justification d’un événement qui peut donner une teneur ironique au récit.

Maurice Blanchot, auteur et essayiste, valorise le fragment parce qu’il laisse « intervenir fondamentalement l’interruption comme sens et la rupture comme force ». C’est une belle manière de résumer l’effet d’une micro-fiction.

 

Les caractéristiques de la micro-fiction

Pour développer un récit très bref, il est nécessaire d’économiser les mots, d’aller à l’essentiel, de privilégier les mots avec peu de syllabes, de sélectionner minutieusement le vocabulaire pour atteindre un dépouillement de la langue.D’un point de vue narratif, il s’agit alors de limiter, voire éliminer toute description au profit d’une croquis, une description des personnages et des événements. Parce que s’opère un phénomène de « réserve » : Tout n’est pas dit, le lecteur est très actif. En effet, il doit reconstituer les informations manquantes. Le rythme narratif peut surprendre et impose une attention particulière du lecteur. Les genres de l’excès comme le fantastique, la science-fiction, l’horreur ou l’humour noir y sont mis en valeur en créant des images mentales marquantes.

Comment écrire une micro-fiction ?

L’écriture de micro-fiction relève de l’art de la miniaturisation. Chaque mot compte. Les phrases doivent se dépouiller de tous ces artifices qui rassurent et d’une abondance de mots. Suivons les conseils de G. W. Thomas (auteur américain) en 7 étapes pour essayer de construire une micro-fiction.

1) La « Petite idée »

Piochez une petite idée dans une grande situation. Par exemple, prenez le film Titanicde James Cameron et ne vous basez que sur un détail. Que choisissez-vous ? La lutte de classes ? L’iceberg ? L’histoire d’amour ? Il est essentiel selon G.W. Thomas de prendre une petite partie d’une situation complexe.

2) Intégrer le préambule à l’ouverture du texte

Au lieu d’écrire deux pages de pré-récit (ce qui précède le récit), il faut trouver une technique pour tout réduire à quelques mots.

3) Commencer le récit au milieu d’une action

Proche du 2), on est directement plongé dans une scène et les enjeux sont clairs. Le navire vient de percuter l’iceberg, on tente tant bien que mal de mettre les canots à l’eau. Les 1reclasses commencent à embarquer alors que les 3eclasses sont bloqués à l’intérieur. Les enjeux sont clairs et on est au cœur de l’action.

4) Développer le récit autour d’une image puissante qui sera le climax

La grille devant les 3eclasses et l’eau qui monte… par exemple ! Il s’agit donc, selon G.W. Thomas de peindre un tableau avec des mots. C’est le meilleur moyen de « Show, don’t tell » comme le disent les enseignants en Creative Writing américain. En effet, il est préférable de raconter plutôt qu’expliquer, commenter.

5) Créer un effet de suspense en retenant des informations

Avec Titanic, ce n’est pas évident : Tout le monde connaît l’issue de l’histoire. Mais, en fonction de la focalisation que je vais choisir, alternance 3e/1reclasse, point de vue d’un seul personnage, en mettant en jeu des situations individuelles… comme le fait le film justement, j’arriverai à créer une tension, développer un suspense alors que mon lecteur (spectateur) connaît la fin.

6) Jouer avec les ellipses et les allusions

On l’a déjà dit plus haut, le lecteur, actif, va reconstituer les informations manquantes.

7) Créer un retournement (twist)

Pour Titanic, on sait que certains vont mourir, d’autres vont survivre. On crée un effet de surprise en mettant fin à la vie d’un personnage auquel on s’est attaché. Le principe du twist est très répandu dans les micro-fiction parce que l’auteur bénéficie de peu de mots pour concentrer toutes les nuances du monde dans la fin.Faire le choix de l’excès, c’est aussi traduire l’absurdité du monde en mettant sur le même registre des courses au marché et un suicide. Le texte ne suppose plus de hiérarchie des événements, et les valeurs sont alors renversées. 
Dans Microfictions, Régis Jauffret dit avoir « pompé le réel ». Il est parti de faits divers pour en interroger l’incongruité.

« Ma femme crucifiée sur la porte d’entrée comme une chouette. / Les jumelles bouillies dans une grande bassine en zinc encore fumante posée sur un coin de la cuisinière. Des gosses tout juste sortis de l’œuf, que ma femme avait mis au monde trois mois plus tôt. Ma mère au salon coupée en quatre, avec son scalp qui achève de se consumer dans la cheminée. »– « Jumelles bouillies », Régis Jauffret.

Micro-fiction - chevalier legoDes figures de style au service de la narration et du style

Les figures de style en jeu dans un très bref récit telle que la micro-fiction, sont l’ellipse (omissions de détails), l’antithèse (rapprochement de deux mots/expressions contraires), le paradoxe (affirmation étonnante qui semble contradictoire mais contredit les idées reçues), les sous-entendus ou les énumérations.

Travailler la micro-fiction saura nourrir tout projet littéraire puisque l’auteur apprendra ainsi à ôter les redondances et se concentrer sur l’essentiel de ce qu’il raconte.

Des mico-fictions / micro-nouvelles à lire ?

Ernest Hemingway serait l’auteur de cette nouvelle-éclair : « A vendre : chaussures de bébé, jamais portées » / « For sale: baby shoes, never worn. » (7 mots en français, 6 en anglais). Le jeu de suggestion contenu dans cette courte phrase est efficace et pousse à la déduction de la mort du bébé. Ce qui est si terrible qu’il entraîne le rire (humour noir). Des doutes sur la paternité de Hemingway ont été relevés. Mais cette phrase parvient à la postérité et illustre parfaitement la démarche littéraire de l’écriture brève.

En France, nous retiendrons Félix Fénéon et ses Nouvelles en trois lignes. Tous les principes de la micro-nouvelle sont contenus dans ses textes. En voici quelques-unes des plus savoureuses.

A Mirecourt, Colas, tisseur, logea une balle dans la tête de Mlle Fleckenger et se traita avec une rigueur pareille.

Dans un pré dont le confin se marque d’un rang d’arbres plumuleux, une femme bleue et un enfant cachou, adossés à l’ellipsoïdal tas, se décolorent.

  1. Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste onze autres enfants.

Madame Fournier, Monsieur Voisin, Monsieur Serteuil se sont pendus. Neurasthénie, cancer, chômage.

Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.

Nouvelles en trois lignes, Félix Fénéon

Nous l’avons évoqué, Régis Jauffret a consacré récemment un livre entier à la micro-fiction. Notons également les textes d’Eric Chevillard, qui sont aussi très plaisants.

De loin, je pris le cortège des camions de pompiers pour la caravane d’un cirque. Quant au chapiteau, là-bas, c’était ma maison en flammes.

Agathe est surprise d’apprendre que le corbeau croasse alors qu’il est ici et non en Croatie. Et Suzie à qui j’ai fait remarquer que le houx griffe et qu’il faut par conséquent s’en méfier préfère depuis l’appeler l’houx. Les mots et les enfants jouent ensemble tant qu’ils n’ont d’orthographe ni les uns ni les autres.

L’Autofictif, blog d’Eric Chevillard

Et, à Rémanence, nous apprécions particulièrement la démarche de Pierre Senges (auteur de Achab, séquelles, également). L’auteur est parti de fragments de fictions imaginés par Franz Kafka (ébauches issues des carnets de l’écrivain pragois). Kafka a donc généré des incipit qui ont déclenché l’imaginaire de Pierre Senges, plusieurs décennies plus tard. Nous ne résistons pas au plaisir de vous partager un extrait :

C’était un après-midi de dimanche. Ils étaient au lit dans les bras l’un de l’autre. C’était l’hiver, la pièce n’était pas chauffée; ils étaient étendus sous un lourd édredon de plumes. Non, décidément (dit le premier), rien à faire : j’aurais beau te serrer contre moi pendant une éternité entière, tu ne me réchaufferas jamais. – Fais comme bon te semble (répond le cadavre), pour ma part, je ne te lâche pas.

– Pierre Senges, Etudes de silhouettes, Editions Verticales

Micro-fiction - meurtre d'abeillePistes d’écriture Rémanence ou « A vos claviers, à vos stylos ! » (N’oubliez pas de nous envoyer vos contributions) :

► Résumez Titanic en 5-6 lignes. Réduisez votre texte à une phrase.

► Partez d’une nouvelle de quelques pages (-10) et réduisez-la à trois phrases maximum.

► Dans la continuité de la démarche artistique de Pierre Senges, poursuivez les incipit de Kafka suivants :

Vers minuit, un jeune homme vêtu d’un étroit pardessus à carreaux gris clair légèrement saupoudré de neige descendit l’escalier qui conduit au petit café-concert. Il paya à la caisse, derrière laquelle une demoiselle assoupie sursauta et le regarda bien en face avec de grands yeux noirs, et s’arrêta un moment pour jeter un coup d’œil dans la salle, qui se trouvait à trois marches au-dessous de lui. – Franz Kafka, Récits etfragments narratifs, La Pléiade.

Nous buvions, le canapé devenait trop étroit pour nous, les aiguilles de l’horloge tournaient sans relâche en rond. Le laquais vint voir ce qui se passait, nous lui fîmes signe en levant les mains. Mais il était fasciné par une apparition installée sur le sofa, près de la fenêtre. – Franz Kafka, Récits etfragments narratifs, La Pléiade.

C’était un vautour, qui donnait de grands coups de bec dans mes pieds. Il avait déjà déchiré mes bottes et mes bas, et maintenant il attaquait directement les pieds. – Franz Kafka, Récits et fragments narratifs, La Pléiade.

Mathilde Pucheu

La micro-fiction d’accord mais vous vous dites :

► Comment démarrer un récit ?


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