Le travail : Atelier d’écriture
Qu’est-ce que vous inspire le travail ?
L’effort, la besogne, l’argent, le marché de l’emploi, le licenciement, l’épanouissement, le geste, le jargon, les responsabilités, les relations sociales, la hiérarchie, la caisse des retraites, les prudhommes, le savoir-faire, le CV, l’entretien d’embauche, l’évolution professionnelle, les contraintes, le télétravail, les transports, les pauses café, les réunions, intelligence artificielle, le Team Building, la retraite, les congés payés… ?!
Et si vous preniez le travail et le transformiez en objet littéraire… Le week-end d’écriture (4 & 5 mars 2023) d’Elise Goldberg vous propose d’explorer ce thème, en détourner les usages et découvrir ses ressources linguistiques et narratives ! Puisez dans vos souvenirs, ceux de votre entourage, rêvez-vous exploratrice ou inventeur et rendez les anecdotes croustillantes, les bons moments tendres et les mauvais moments pleins de suspense !
Le travail dans la littérature
De nombreuses oeuvres littéraires mettent en scène des situations dans des milieux professionnels divers. L’auteur abordant le travail comme thème central dans une oeuvre est Emile Zola, bien sûr !
- Germinal, les ateliers, les mines
- L’argent, le chemin de fer, la bourse ou le travail de l’argent
- Au bonheur des dames, Les grands magasins
- Nana, le travail des prostituées
- L’assommoir, la réalité du milieu ouvrier.
D’autres romans rendent le travail central dans leur oeuvre et il ne s’agit pas de développement personnel pour « trouver le bonheur au travail » ! C’est parfois un kit de survie en milieu professionnel ou une mise en scène intime de la relation au travail.
Offres d’emploi
Et si vous envisagiez une reconversion professionnelle ? Cuisinière/cuisinier, médecin, ingénieur·e, peintre en trompe-l’oeil, responsable après-vente, agent·e des impôts, orpailleur, prêtre, sculpteur-ice, Compositeur-ice, coureur… voilà de quoi préparer votre bilan de compétences ou déclarer vos incompétences. Peu importe, avec l’écriture de fiction tout est envisage, tous les métiers sont à portée de main, même astronaute.
On recrute…
Maylis de Kerangal aime plonger son lecteur en immersion dans des milieux très divers. Elle se documente et décrit avec minutie le geste, en employant le vocabulaire spécifique. Elle cherche à « retranscrire l’expérience » et ajoute :
« J’appréhende le roman par les gestes, les pratiques, les rythmes : ce sont eux qui tissent le territoire du livre. […] Je m’immerge dans une réalité faite de mouvements, de processus, de métamorphoses […] », Chromes (IMEC).
On recrute : Cuisinier
Dans Un chemin de tables, un jeune chef alterne brasserie, bistrot, auberge, restaurant étoilé… pour présenter la violence d’un métier exigeant.
Chaque jour, il revêt un tablier blanc de grosse toile rêche qui le gaine et le tient comme un uniforme, puis il s’active. La mise en place est simple et, hormis les pâtés présentés dans des terrines de terre cuite vernissée, les préparations se font à l’assiette : salade de tomates, harengs pommes à l’huile, terrines de foies de volaille chutent, oeufs mayonnaise, avocats crevettes sauce cocktail, fruits de mer. Un beau matin, au milieu du service, Mauro reçoit en pleine figure une cuiller à pomme parisienne en métal – il n’a pas choisi le bon diamètre pour lever des billes de pomme. Le choc le surprend, il pousse un cri, vacille, son nez saigne, il jette autour de lui un coup d’oeil circulaire : chacun s’active en silence, il ne croise aucun regard. De son poste le chef lui crie de ne pas faire le malin et de tout reprendre tissa comme il le lui a demandé, c’est quand même pas compliqué. – Un chemin de tables
On recrute : Médecin
La recherche cristallise et Marthe avance son visage vers l'écran, ses yeux énormes et anamorphosés derrière les verres de ses lunettes. Brusquement, ses doigts jaunis à l’intérieur de la troisième phalange immobilisent la souris : pour le cœur, une urgence est identifiée, une femme, cinquante et un ans, groupe sanguin B, 1,73 m, 65 kg, soignée à la Pitié-Salpêtrière, service du professeur Harfang. Elle prend le temps de bien lire et de relire les données qui s'affichent, sait que l'appel qu'elle s'apprête à effectuer va provoquer une accélération générale de toutes les vitesses à l'autre bout de la ligne, un influx d'électricité dans les cerveaux, une injection d’énergie dans les corps, autrement dit l'espoir. – Réparer les vivants
On recrute : Peintre de trompe-l’oeil
Ils ont appris à glacer, à chiqueter, à blaireauter, à pocher, à éclaircir, à créer un petit moiré au putois ou un œillet sur glacis avec le manche du pinceau, à dessiner des veines courtes, à moucheter, à manier le couteau à palette, le deux-mèches à marbrer et le pinceau à pitchpin, le grand et le petit spalter, le trémard, la queue de morue, le drap de billard et la toile à chiffonner ; ils ont appris à reconnaître la terre de Cassel et la craie Conté noire, le brun Van Dyck, les jaunes de Cadmium clair ou orange ; ils ont peint ces mêmes angles de plafond Renaissance avec putti potelés, ces mêmes drapés de soie framboise écrasée plongeant depuis les corniches de baldaquins Régence, ces mêmes colonnes de Carrare. – Un monde à portée de main
On recrute : Ingénieur
Partout on dynamite le rocher calcaire, des tonnes de terre et de cailloux jaillissent en gerbes continues, et Joaquim comprend vite que le travail sera épuisant et dangereux. Il découvre que les accidents sont fréquents, qu’une vingtaine d’ouvriers sont déjà morts, fauchés par des rafales de roche. Le chantier est cerné de journalistes, qui tiennent la chronique quotidienne du barrage, relatent les aléas, et parfois les performances techniques, racontent la colère des éleveurs, et aussi la satisfaction des élus locaux. Et derrière eux se tient une autre garde, celle des gendarmes qui surveillent désormais les travaux jour et nuit, la nuit surtout, depuis qu’une série de sabotages – incendie d’un transformateur, vols de matériel, pneus crevés et réservoirs siphonnés – a retardé la construction du barrage et perturbé la communication enthousiaste du maître d’œuvre, impuissant à convaincre les habitants du village de la pertinence de leur sacrifice. – Seyvoz
Chaque roman de Maylis de Kerangal crée une ambiance et met en scène les personnages dans leur posture professionnelle. Ils existent par leurs gestes et leurs missions.
On recrute : Responsable après-vente
Parmi les oeuvres littéraires abordant le monde du travail, on compte également Les travaux et les jours, pièce de théâtre de Michel Vinaver. Les relations de bureau révèlent des personnages menacés dans l’équilibre de leur existence. Tout passe par le dialogue et surtout les silences qui soulignent les hésitations, les coq à l’âne. Les rapports hiérarchiques sont également physiques, comme en joue cet extrait !
JAUDOUARD Vous avez un contrat temporaire ici petite qui expire YVETTE Ce dix février si vous laissez expirer j’ai besoin de travailler JAUDOUARD Quand on a besoin de travailler alors comme ça on dit qu’on a besoin de travailler YVETTE Je suis soutien de famille maman avait un bon salaire je vous ai dit qu’elle est morte JAUDOUARD Tu m’as dit oui elle est morte si on a besoin de travailler ce serait pas une mauvaise idée de faire ce qu’il faut pour qu’on veuille vous garder YVETTE Je ne donne pas satisfaction ? JAUDOUARD Je ne dirais pas que le service après-vente est le service le plus important de la maison YVETTE Je m’efforce je m’occupe de mon petit frère […] YVETTE Je crois que je suis aimable monsieur et qu’aucune cliente ne s’est plaint de moi JAUDOUARD Voilà il faut réfléchir bien réfléchir YVETTE Vous sentez l’ail excusez-moi
On recrute : Agent·e des impôts
Dans son roman inachevé, Le roi pâle, David Foster Wallace met en scène des agents du centre des impôts de l’Illinois en décrivant méthodiquement les tâches professionnelles répétitives. La galerie de personnages que le narrateur fréquente sont concentrés sur les règles, les chiffres et un jargon très technique qui, progressivement, devient un élément poétique interne à l’oeuvre.
Quoi qu’il en soit, à ce stade deux autres pré-recrues nous avaient rejoints dans le bureau, je me souviens que l’un d’eux avait une combinaison de ski bariolée et le front bas, assez protubérant. L’autre, plus vieux, avait rafistolé la semelle de ses baskets défoncées avec du gros scotch et il grelottait mais ça n’avait pas l’air lié à la température, il m’a fait l’effet d’un nécessiteux ou d’un sans-abri plutôt que d’un véritable candidat. […] Soit les deux hommes travaillaient ensemble soit ils se connaissaient très bien ; ils parlaient en tandem sans même bien s’en rendre compte. Un tandem alpha-beta, ce qui signifiait soit Audit soit CID, la division criminelle. Sylvanshine s’aperçut que la fenêtre renvoyait un faible reflet oblique de son visage et que l’alpha du tandem badinait à s’adresser au reflet comme si c’était Sylvanshine, tandis que le hamster affichait l’expression faciale de la parole, mais ne disait rien. Les donations de parts du capital sont les traitements de plus-value camouflés – il y avait aussi un bruit, gazeux et tintinnabulant comme celui d’un orgue, quand le chauffeur rétrogradait ou lorsque le véhicule tangua dur dans une chicane à côté d’un panneau DEGRAISSEZ Ca.
On recrute : Orpailleur
Dans L’or, Johann August Sutter développe l’agriculture aux Etats-Unis jusqu’à ce que l’on découvre de l’or sur ses terres. L’or, la fièvre, la ruée, la ruine de Sutter ! Blaise Cendrars aura écrit très vite ce roman, dans l’urgence du souvenir récent de son voyage au Brésil.
Rêverie. Calme. Repos. C'est la paix. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non : c'est l'OR ! C'est l'or. Le rush. La fièvre de l'or qui s'abat sur le monde. La grande ruée de 1848, 49, 50, 51 et qui durera quinze ans. SAN FRANCISCO ! |
On recrute : Curé de campagne
Georges Bernanos met en scène un jeune prêtre en milieu rural qui échoue à accomplir son devoir. Le dispositif du journal permet de suivre la progression des états d’âme du personnage. L’adaptation au cinéma de Robert Bresson le traduit avec justesse.
Ma paroisse est une paroisse comme les autres. Toutes les paroisses se ressemblent. Les paroisses d’aujourd’hui naturellement. Je le disais hier à M. le curé de Norenfontes : le bien et le mal doivent s’y faire équilibre, seulement le centre de gravité est placé bas, très bas. Ou, si vous aimez mieux, l’un et l’autre s’y superposent sans se mêler, comme deux liquides de densité différente.
On recrute : Sculpteur
Dans Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Michel-Ange est appelé à la construction d’un pont sur la Corne d’Or par le Sultan Bajazet. Mathias Enard révèle l’artiste au travail – qui dessine et sculpte.
Michel-Ange s’étonne. C’est pourtant une forme pure. Peu soucieux de perdre du temps dans des arguties théologiques, le sculpteur demande une heure, une table, une mine de plomb et de l’encre rouge pour les motifs ; on l’installe dans une pièce à part, bien ventilée, où la chaleur est plus supportable. Mesihi ne le quitte pas des yeux. Il observe la main de l’artiste reproduire son dessin initial, en retrouver les proportions avec un compas ; puis courber légèrement la lame vers le bas, à partir du deuxième tiers, courbure qu’il compense par une inclinaison de la partie haute de la garde, ce qui donne à l’ensemble un imperceptible mouvement de serpent, ondulation qu’il va dissimuler par une frise simple, prenant appui sur la branche inférieure. Deux courbes qui se complètent et s’annulent dans les violences de la pointe. La croix latine a disparu pour laisser la place à un chef-d’œuvre d’innovation et de beauté. Un miracle.
On recrute : Compositeur
Le métier d’artiste fait rêver. Jean Echenoz le désacralise en révélant l’intériorité de Maurice Ravel – enfin, sa version !
Il commence par esquisser son Concerto en sol puis le laisse de côté pour honorer sa commande. Une fois réglée assez vite, logiquement en neuf mois, la question de la main gauche, il se remet à l’autre mais ça ne va pas tout seul. Il traîne, il a un mal de chien, pas moyen de trouver comment l’achever. C’est compliqué, n’est-ce pas, c’est assez délicat vu que ce concerto n’est pas conçu pour le piano mais contre lui. Bon, dit-il à Zogheb, comme je n’arrive pas à terminer cette chose pour les deux mains, j’ai décidé de ne plus dormir une seconde, voyez-vous. Je ne me reposerai qu’une fois cet ouvrage fini, que ce soit dans ce monde ou dans l’autre. L’oeuvre enfin menée à son terme, Marguerite Long aussitôt alertée se met à le déchiffrer – non sans mal : quand l’autre n’est pas dans son dos à la corriger sans cesse, le reste du temps, il la harcèle au téléphone. Elle hésite, lui fait part de son anxiété devant son deuxième mouvement, de la difficulté pour l’interprète de tenir dans cette progression lente, dit-elle, cette grande phrase qui coule. Qui coule ? se met à crier Ravel. Comment qui coule ? Mais je l’ai faite deux mesures par deux mesures, cette phrase, et j’ai failli en crever.
On recrute : Coureur
Dans Courir, Jean Echenoz nous offre la possibilité d’accéder à l’intimité d’Emil Zatopek. Courir est un métier qui réclame de l’entraînement ! Les ellipses narratives sont matérialisées par les virgules dont les énumérations scandent la répétition des gestes et actions du personnage.
Devenu très attentif aux battements de son coeur et à son degré de fatigue, Emile aimerait comprendre jusqu’où va son endurance. Il continue de s’entraîner tout l’automne, tout l’hiver, et pas seulement au stade. Dans la rue, sur les routes, en forêt, dans les champs, partout au point de se faire mal et par n’importe quel temps, il court moins comme un homme que comme une de ces bêtes plus douées que nous pour ça. Comme le chemin de chez lui à l’usine passe par une allée de peupliers, il tente un nouveau truc pour voir. Le premier jour, il retient son souffle en marchant jusqu’a quatrième peuplier, les deux jours suivants jusqu’au cinquième, puis au sixième, et ainsi de suite tous les deux jours jusqu’à ce qu’il parvienne enfin au bout de l’allée sans respirer. Mais une fois qu’il y est arrivé, il s’évanouit.