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La description 

Pour construire un récit, on dit traditionnellement que l’on s’appuie sur deux éléments principaux (narration, description) et un élément secondaire (dialogue). Stephen King (Ecriture – Mémoires d’un métier) présente la description comme un outil narratif « chargé de créer une réalité sensorielle pour le lecteur ». Cette perspective vous semble schématique ? Elle a le mérite d’aider à décomposer un texte narratif et mieux en appréhender la mécanique !

Les différentes fonctions de la description

Un texte littéraire narratif est une composition réunissant une succession d’événements et d’actions (ce qui constitue l’histoire) ainsi que des éléments de décor, d’objets et de personnages (ce qui enrichit l’histoire). Tous ces fragments réunis forment un récit. La description agit activement et, selon les choix stylistiques et narratifs, répond à différentes fonctions.  

1/ Fonction esthétique (dite ornementale) de la description

Arrêt sur imagedans un récit, la description esthétique (ou ornementale) s’attarde sur un élément de détail issu du décor, d’un objet, d’un visage, d’un vêtement. La temporalité du récit change ; l’histoire s’interrompt. Le Ventre de Parisd’Emile Zola décrit les Halles dans le moindre détail :« A droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. »A travers cette tentative d’exhaustivité, l’écrivain plonge le lecteur dans l’atmosphère des Halles de cette époque. 

► La description marque une pause dans la narration pour mettre en valeur un détail et créer une atmosphère précise. 

La description - Illusion optique

2/ Fonction expressive (libérer des impressions) de la description

Pause sensorielle du texte, la description expressive contribue à affirmer un point de vue. Dans sa fonction expressive, la description libère une subjectivité : personnage, narrateur… Elle remplit donc une fonction narrative. Dans Cherokee, Jean Echenoz s’attarde sur un lieu pour mieux traduire les états d’âme de son personnage :

« Toute la zone d’ailleurs, a l’air d’un chantier. La chaleur produisait des ondes molles qui déformaient les perspectives d’arbustes, comme sous l’effet d’une brise invraisemblable en cette saison dans cette partie du monde. Georges parcourut la ville, ou plutôt une partie de la ville qui borde la mer, du port marchand au casino fermé. Sur les galets détrempés des marées basses évoluaient les mêmes promeneurs qu’à Blanckenberge, les mêmes collectionneurs de coques, le même chien courant après la branche que lui lançait et relançait le même homme seul. »  

► La description évite tout effet commentatif de l’introspection du personnage en nous plongeant dans un état d’âme, par effet de miroir descriptif. 

3/ Fonction symbolique (double effet) de la description

Pause interprétative, la description symbolique est un repère nécessaire au lecteur. Cette catégorie descriptive s’inscrit dans la démarche littéraire sociologique de Balzac. Le lieu ou les vêtements deviennent le miroir du milieu social du personnage. Cela remplit donc une fonction narrative. Marion Messina dans Faux départ, malgré l’ancrage de son roman dans une réalité moderne, utilise le processus descriptif de Balzac où l’influence du lieu représente une part essentielle de sa construction narrative :

« Les odeurs de cuisine des voisins embaumaient l’air de relents d’ail, oignon, tomate et poisson frit. Le parfum huileux des kebabs accompagnait des airs de Raï’n’B, les discussions mâtinées de verlan et de vieux jurons arabes, les chiens étaient nombreux. Quelques hommes portant la barbe longue, une djellaba et des Nike Air serraient la main de jouvenceaux à casquette et pantalon de survêtement remonté sur les chevilles. » 

Faux départ, Marion Messina

► La description est au service de la narration. Elle renseigne sur le milieu fréquenté par ses personnages et influera, dans le roman, sur leurs actions.

La description - Chicago

4/ Fonction narrative de la description

Intégration au récit, la description n’est pas forcément détachable ou opposable au récit, au contraire. Certaines narrations, particulièrement celles issues du Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, par exemple) ne s’articulent qu’autour de la matière descriptive. Dans les récits moins expérimentaux, on constate que la description ne freine pas le récit mais le souligne ou génère des actions. La description furtive d’un objet, qui, l’instant d’après se met en action justifie parfaitement sa présence (un réveil qui va sonner, une bombe qui va exploser, une pile de dossier qui va tomber…)

* La description peut donc induire la narration (par effet de déduction), comme c’est le cas dans cet extrait :

C’est un homme qui occupe la chambre. Peu d’indices. Sur le rebord du lavabo : un peigne édenté et crasseux, une brosse à dents, du dentifrice, un déodorant. Sur la table : le magazine Time, le Herald Tribune, un livre The Moon and Sixpence, de S. Maugham marqué à la page 198. Sur le rebord extérieur de la fenêtre, des pommes et des oranges dans deux sacs en papier. Sur la table de nuit, je trouve un cahier avec une couverture cartonnée : son journal de bord. Je le parcours « Friday : Rome… Tuesday : Florence.. » et à la date d’hier ces lignes : « Arrived in Venice this morning… Up to my room, had a bath, a couple of oranges + apples + will crash. I have told the desk to wake me up at 8 :30 […] » Je trouve aussi deux adresses à Paris. – « L’Hôtel », Doubles-jeux, Sophie Calle

 

* La description peut provoquer ou faire récit, comme dans ce texte :

Le jour en question (2 octobre 1982), le temps était ensoleillé et j’étais très angoissée. Des filaments d’air salé arrivaient du Bosphore, accompagnés de mes pensées rapides qui se faufilaient entre les pensées alanguies comme de petits serpents. Le jardin de l’hôtel Kingston, où l’on sert le petit-déjeuner quand il fait beau, a une forme carrée. Un coin est ensoleillé, l’autre fleuri, le troisième venté, et dans le quatrième coin il y a un puits et pilier à côté. J’ai l’habitude de me tenir derrière ce pilier car je sais que les clients n’aiment pas qu’on les observe quand ils mangent. Ce n’est pas étonnant. Je sais par exemple, en regardant un client prendre son petit déjeuner, que l’œuf brouillé le soutiendra pour se baigner avant midi, le poisson pour aller le soir à Topkapi Sarayi, et que le verre de vin lui donnera la force d’esquisser un sourire avant d’aller dormir, sourire qui ne parviendra jamais jusqu’aux miroirs myopes de la chambre d’hôtel. De cet endroit, près du puits, on voit l’escalier qui mène au jardin et donc tous ceux qui arrivent et qui s’en vont. – Le Dictionnaire Khazar, Milorad Pavic, EDITIONS Le Nouvel Attila

► La description, au-delà de créer une atmosphère, donne vie à des personnages et donc des actions. Que celles-ci soient insignifiantes ou spectaculaires, elles participent du récit.

Les fonctions de la description, en bref

La description contient des informations qui visent à donner des repères et alimenter les images mentales du lecteur. Ces informations jouent un rôle narratif. Marquer une pause ou amalgamer la description à la narration, c’est affaire de rythme, rapport à l’ellipse et la durée, et parti pris stylistique. Ainsi, les effets de digression que peuvent générer les descriptions offrent une tonalité spécifique au texte.

Quelques repères historiques de la description

Pendant l’Antiquité, la description (ekphrasis, en grec) permettait de souligner tout discours de flatterie. L’éloge funèbre représente bien cette activité. La poésie s’appuie également sur la description pour mettre en lumière la beauté d’un lieu ou d’un objet. Elle cherche vainement à remplacer la photographie publicitaire. La description répond également au besoin d’appréhender le monde. Elle est un outil en support à des analyses scientifiques : géographie, architecture, botanique, modes d’emploi, contenu judiciaire.

A la Renaissance, les descriptions de ville permettent aux touristes de se repérer.Au milieu du XVIIIe siècle, la description prend de plus en plus de place dans la littérature. Flaubert et Zola en feront un élément essentiel du roman réaliste. Bien sûr, certains auteurs affirmeront leur réticence à l’égard de cet outil littéraire. C’est notamment le cas de Stendhal et Paul Valéry. 

Comment associer description et narration ?

Pour rendre la description dynamique et éviter qu’elle ne freine le récit ou utiliser ce frein comme participant du rythme (introduction de suspense, par exemple), il s’agit de bien identifier les effets de la description :

1/ Repères – Situer le contexte de l’action / Créer un cadre spatial et temporel (époque, milieu, etc.)

2/ Informations – Apporter un éclairage encyclopédique/savant sur une époque (histoire), un processus (rituels ou méthodes)… 

3/ Plaisir esthétique – Créer un effet poétique en produisant un tableau.

4/ Expérience – Traduire des impressions et générer des effets sensoriels sur le lecteur.

5/ Subjectivité – Affirmer un point de vue. 

Outil au service du narrateur et du récit, la description cherche à créer l’illusion d’une réalité. Il s’agit de composer l’espace de la fiction. Décrire ne signifie donc pas nécessairement chercher l’exactitude ou l’exhaustivité. Il s’agit plutôt d’une traduction d’un monde, passée au filtre de la narration (regard des personnages, impressions du narrateur…)

En décrivant dans un récit, on pourra contribuer à l’introduction du concret dans la narration et lui donner davantage de relief.

Si un tableau, une photo ou un film peuvent rassembler, dans un effet de simultanéité, différents éléments, une description suivra l’ordre des mots. C’est forcément une traduction artificielle de l’expérience du réel. La combinaison des mots, la structure des phrases, le rythme auront une influence sur la perception descriptive. 

Pour y parvenir, suivez les conseils d’Emile Zola : « Le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur.L’observateur chez lui donne les faits tels qu’il les a observés, pose le point de départ, établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis, l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire faire mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer […] la succession des faits […] » – Le roman expérimental, Emile Zola

Des pistes d’écriture : Description

► Observer le visible qui vous entoure sans hiérarchiser. Tout est important, même le désagréable. 

► Observer l’invisible : odeurs, bruits, effets physiques…

► Posez les observations, les impressions.

► Rassemblez-les en cherchant à créer un rythme et générer des images mentales. 

J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources. Mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts…De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n’y aura plus écrit en lettres de porcelaine blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière : « Ici, on consulte le bottin » et « Casse-croûte à toute heure ».L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes.

– Espèces d’espaces, Georges Perec

► Classifiez les différents espaces : espace de malaise, lieu de passage, poste d’observation, place de bien-être…

► Décrivez une action en une phrase dans chaque lieu.

► Dans l’esprit de Perec, faites-nous voyager dans des lieux de votre mémoire.

A lire :
Ecrire – Mémoires d’un métier, Stephen King
Le roman expérimental, Emile Zola
Figures II, Gérard Genette[Lecture approfondie et académique]
► Tout Jean Echenoz [Editions de Minuit]
Espèces d’espaces, Georges Perec
Le Dictionnaire Khazar, Milorad Pavic
Faux départ, Marion Messina

 

La description c’est noté mais d’abord :

Comment démarrer un récit ?


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