GPS, Lucie Rico, POL ou l’art du bref et percutant !
Avec son second roman GPS, Lucie Rico (complice de Rémanence des mots), publie chez POL une fiction brève qui déroute. Rien qu’à lire la couverture et ses rares lettres bleues sur blanc caractéristiques, on est « sommé » de tourner les pages !
Le livre, objet physique, devient sous les coups de clavier de Lucie, un Smartphone turbulent. La cartographie qu’il dessine brise les frontières et le labyrinthe dans lequel le personnage d’Ariane navigue — et est piégé — appartient à l’espace virtuel d’Internet. Un roman qui nous fait tanguer entre réalité et imaginaire…
GPS, en bref
RDV Zone Belle-Fenestre aux fiançailles de Sandrine. Partage de localisation. Sandrine est matérialisée par un point rouge que suit Ariane, le téléphone en main. Le paysage se virtualise grâce à Google Maps. Le réel échappe, grâce à Google Maps.
Après les fiançailles, Sandrine n’apparaît plus que sous la forme du point rouge de Google Maps. Elle se fait la malle, ne se marie pas et nargue Ariane, engluée dans son quotidien de journaliste oisive au chômage. Spécialisée dans les faits-divers, la « narratrice-personnage » se fait des films sur son amie. Le suspense s’intensifie. Suivez le GPS, il va vous guider !
« Le téléphone a vibré. Un lien Google Maps – que tu appelles toujours GPS par abus de langage, comme si toutes les cartes, toutes les représentations du monde et les technologies étaient les mêmes, de simples outils pour te conduire à bon port – s’est affiché : Sandrine souhaite partager sa localisation avec vous."
TU désorienté
« C’est comme si Sandrine t’avait tendu un piège. »
Le GPS de Lucie Rico perturbe notre (éventuel) sens de l’orientation dès l’incipit. Il nous tutoie ou nous plonge dans l’intériorité d’Ariane (dont le nom n’apparaît qu’une fois et tardivement, charriant un symbole évocateur) ? Si c’est l’intériorité d’Ariane, ce serait cette voix intérieure qui s’adresse à soi-même.
Un tutoiement, immédiatement souligné par le tutoiement directif et impératif du « dialogue » (deux lignes de SMS), une voix par-dessus une voix ! La voix de Sandrine, le personnage principal bis, en tout cas celui de toutes les pensées d’Ariane !
Cet usage du pronom « tu » semble refléter le dialogue intérieur car on ne quitte jamais le point de vue (parfois déviant) d’Ariane. Si celle-ci est dévorée progressivement par l’obsession, le lecteur, est également dévoré peu à peu et suit le trouble intime du personnage.
Frontières cartographiques et métaleptiques
On suit un point rouge, et un paysage naît sous nos yeux. Les descriptions transforment le motif narratif du GPS en motif esthétique dont les images créent un plaisir contemplatif, malgré la rapidité narrative avec laquelle le récit nous est conté – au ton d’une machine type Smartphone et/ou d’une brève de journal.
« Le point tourne autour du lycée, s’arrête devant sa porte d’entrée pour l’examiner – ou prendre une photo, mais tu n’y penses pas –, puis il entre. »
A un stade du récit, la narratrice ne regarde plus le réel qu’à travers une carte virtuelle (Google maps) et n’envisage plus le réel qu’à travers les narrations imaginaires qu’elle fabrique. En effet, elle crée des articles de faits-divers qu’elle invente totalement. De petites narrations viennent s’enchevêtrer au récit principal, ce qui relève de la métalepse.
« Les friches industrielles sont des endroits suspects. Personne n’a rien à faire d’honnête dans une friche. Tu pourrais aussi te méfier des lieux plus anodines, comme les hypermarchés. »
Mais cela nous rappelle quelque chose ! Le précédent roman de Lucie Rico Le chant du poulet sous vide, également publié chez POL. Paule écrivait de petites bio en hommage aux poulets qu’elle destinait à la vente sous vide. Lucie Rico intègre ainsi des micro-fictions à ses romans tout en mettant en scène la création artistique en action ! Voilà qui donne le vertige et tire définitivement le fil d’Ariane.
GPS, arrivé à destination
Laissez-vous guider par le GPS de Lucie Rico. Les égarements d’Ariane vous rappelleront les bonnes vieilles cartes IGN et réveilleront votre nostalgie. Roman rafraîchissant et ludique, malgré quelques éléments noirs ou aigres.
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