Lovecraft et Le Grand Cthulhu – L’attrait du néant
Univers lovecraftien

Qu’est-ce qui a pu frapper un jeune auteur en devenir comme Michel Houellebecq – dont l’écriture reposera sur la description d’une quotidienneté renfermant déjà le néant en elle – lorsqu’il découvrit Lovecraft à l’adolescence ?
L’auteur américain du début du XXe siècle était un homme distingué et traditionnel mais inadapté à son époque en mutation qu’il détestait. Il rejetait tout réalisme dans ses récits et ne jurait que par E. A. Poe et l’irruption du cauchemar chez des personnages scientifiques, rationnels et peu enclins à croire aux superstitions. Là où Houellebecq trouvait le néant dans le quotidien, Lovecraft allait le chercher ailleurs.
Dans les deux cas, l’homme, à titre individuel et civilisationnel, est dépassé. Une force le pousse vers l’anéantissement. Attiré irrémédiablement par cette force, l’homme risque de s’y complaire. Les personnages lovecraftiens finiront toujours par la fuir.
Récit : narration & cosmogonie de Lovecraft
Le récit, toujours un témoignage du personnage principal, ne laisse aucun doute sur la survie de celui-ci. Ce qui travaille Lovecraft et hantera à jamais ses personnages n’est pas la survie, mais l’existence – souvent entre-aperçue – d’une force vertigineuse. Chez Lovecraft, athée inconditionnel, l’arrière monde que l’on découvre ne renferme qu’horreur et désolation.
L’auteur prend soin d’enrichir ce monde parallèle d’une cosmogonie très riche en créatures, lieux, mythes, reliés par les adjectifs : « innommables », « indescriptibles », « dépassent l’entendement humain ».
Cet espace imaginaire est à l’image de ces ruines sans âge, à l’architecture qui suit d’autres règles que notre géométrie euclidienne, comme cette cité de R’lyeh inspirée des tableaux de Nicolas Roerich (qui impressionnèrent jadis l’auteur) dans L’appel de Cthulhu.

Dans cette courte mais séminale nouvelle, le récit se développe à travers des témoignages enchâssés les uns dans les autres, où chaque personnage reprend l’enquête précédente d’un homme devenu fou après ses découvertes.
Cette forme narrative produit peu à peu une saisissante contamination de l’horreur chez le lecteur.
Ce récit présente pour la première fois « le grand Cthulhu », hideuse créature à qui certaines tribus obscures vouent un culte ancestral, et qui sera au centre d’une mythologie donnant forme à des créatures venues des étoiles. Parmi ces créatures, les « grands anciens » sont les pionniers qui ont apporté la vie sur terre et régné sur celle-ci (référence au mythe grandissant des anciens astronautes). Ils furent décimés suite au réveil de créatures qu’ils ont eux-mêmes créées, et deviennent aujourd’hui une menace pour les hommes, mettant en péril nos civilisations actuelles.
C’est ce qu’entreverront nos scientifiques en quête de faits rationnels, mais dépassés par les implications inimaginables de ces découvertes. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été alertés bien avant. En effet les protagonistes auront tous entendu parler de ces mythes à l’université de Miskatonic (un des nombreux lieux imaginaires inventés par l’auteur), retranscrits dans le fameux Necronomicon (vieux grimoire écrit au Moyen-Age par l’arabe devenu fou Abdul al-Hazred) sans y accorder, à tort, une grande crédibilité.
Face à l’évidence, ils préféreront cacher au monde cette force qui le menace. Ils garderont pour eux l’effroi qui les hantera pour toujours, accordant ainsi à l’humanité la préservation d’une certaine innocence avant sa fin annoncée.
Que reste-t-il de Lovecraft aujourd’hui ?
Il est difficile de cerner la postérité de l’auteur dans le genre fantastique, littéraire ou cinématographique, tant les apports au genre nous paraissent aujourd’hui familiers. De nombreux films grand public ont marqué le genre fantastique. Alien, ou The Thing lui doivent beaucoup. Excepté chez John Carpenter, qui rend directement hommage à Lovrecraft à travers sa « Trilogie de l’Apocalypse » (The Thing, Prince des Ténèbres, L’Antre de la folie), où le nihilisme et le désespoir lovecraftien sont fidèlement traduits, la noirceur de l’auteur s’accorde mal avec la contrainte du happy-end inhérentes aux grosses productions.
La mythologie lovecraftienne a laissé une trace telle que de nombreux écrivains ont entrepris de la poursuivre et la compléter après la mort de l’auteur. On retrouve son univers comme un monde bien vivant aujourd’hui dans la culture populaire, notamment dans les jeux vidéos.
Parmi les auteurs célèbres, Jorge Luis Borges a écrit sa nouvelle « There are more things », présente dans le Livre de Sable, en pensant à Lovecraft.
Enfin, existe-t-il plus grand hommage que de citer l’auteur de fantastique actuel le plus lu, à savoir Stephen King, pour qui Lovecraft était « le plus grand artisan du récit classique d’horreur du vingtième siècle » ?
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Article rédigé par Thomas Da Costa
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