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Absence étourdissante

Absence étourdissante - image

Debout adossé au poteau du panneau publicitaire rosé nuit sans mots, son crâne est libéré de l’emprise des messages à but lucratif. Mais il n’est plus sûr de ce qu’il peut faire de cet espace libre. Il a cherché. Rien. Il a pisté. Rien. Il a réfléchi, déduit, questionné. Rien. Les hypothèses affluant comme le sang au cerveau se sont toutes évanouies dans un tourbillon sans fin et sans classement. Toutes se valent mais pas elle. Elle n’a pas toujours la même couleur mais cette fois il était venu sans crainte de l’éloignement. Il était venu entendre ce qu’elle avait à dire. Devant un possible espace libre, un no man’s land où rien ne les attendait si ce n’est eux-mêmes et ça lui semblait bien suffisant. C’est stupide l’amour d’une vie ne dure pas toujours et qu’importe. La durée n’est pas la valeur. Il sent l’humidité dans ses pieds. Ça remonte dans le dos par le froid. Le poteau. Il est froid. Il se redresse sur ses pieds et fait quelques pas. Pas de cigarettes. Pas de cigarettes. Pour un non fumeur ancien fumeur à tendance je prendrais bien une cigarette en pleine nuit pour tromper l’attente et resserrer mes pensées c’est une situation inconfortable. Loin bien trop loin le premier tabac ouvert – à dire vrai ne même pas y penser en pleine cambrousse, en pleine nuit, en pleine attente. Il ne sait plus l’heure ni la durée ni l’écoulement. Pas de batterie. Pas de batterie. Pour un écolo ancien capitaliste à tendance je trouverais bien une prise en pleine nuit pour tromper l’attente et resserrer mes pensées c’est une situation inconfortable. Loin bien trop loin de la première prise électrique – à dire vrai ne même pas y penser en pleine cambrousse, en pleine nuit, en pleine errance. Il sasse ses pensées – c’est étourdissant de bruits. Ça couvre les pneus qui glissent et crissent dans la pluie. Le crépitement des lumières artificielles. Le papillon qui s’y brûle en grésillant. Le frôlement d’un écureil roux qui court sur la branche d’un conifère. Le sussurement du vent dans les cyprès, le frémissement dans les herbes, le grouillement dans la terre.

Dans la nuit qui s’écoule de son sommeil impossible il marche en rond et ferait mieux d’aller dormir. Tu ferais bien d’aller dormir. Va dormir. Dors. Dors !

Il prend sa tête dans ses mains et prononce. Un cri simple AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA. Un cri pour taire ses pensées. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA. Son AAAAAAAAAAA devient ARRRRRRROAAAAAARRRRRRRRRRROAAAAAARRRRRRRRRRROAAAAAARRRRRRRRRRROAAAAAARRRRRRR. Cri inarticulé, rauque et violent. Bruit sourd et puissant. Force, violence de l’impuissance. Un rugissement. Son RRRRRRROAAAAAARRRR devient AOUUHHAOUUHHAOUHHAOUUUUUUUUUHHHH – AOUUHHAOUUHHAOUHHAOUUUUUUUUUHHHH – AOUUHHAOUUHHAOUHHAOUUUUUUUUUHHHH. Il adresse loup hurlant de chercher elle.

Ça couvre le craquement des branches, le chuintement d’une chouette, le cliquetis du ru. Au loin les murmures déjà d’êtres humains, le premier vrombissement d’un quad, le premier meuglement d’une vache et le chant d’un coq.

En vain rien ne recouvre le silence étourdissant de ses mots inaudibles.

 

Céline Dauvergne prépare un projet de poésie. Elle laisse cours à l’oral, sensible aux mots et leur polysémie (plusieurs sens), sensible à la polyphonie (plusieurs voix). Un poème à lire à haute voix ! Céline participe au Lab’ animé par Mathilde Pucheu


▶ Cécile Dauvergne participant.e aux ateliers d’écriture que nous proposons.
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