Du Vermouth, par Guillaume
Guillaume participe régulièrement aux ateliers d'écriture à la carte (Art du récit & Ecritures de soi). Il nous fait le plaisir de partager certains de ses écrits !
Elle n’avait jamais bu de vermouth. Alors, lorsqu’elle est entrée dans le Carrefour Market, avec le mur de bouteilles, accessibles uniquement en indiquant son choix au caissier, elle a demandé du vermouth.
Elle avait envie de connaître le goût de cette sonorité qui lui plaisait, et elle avait envie de nouveauté et d’alcool.
Ce soir-là, pour elle c’était tout ça le vermouth.
Et maintenant ce qu’elle a découvert c’est qu’elle n’aime pas le vermouth.
Mais bon ce qu’elle sait et ce qu’elle veut n’ont rien à voir. Et ce qu’elle veut c’est boire. Alors elle bascule la tête en arrière et la bouteille suit. En moins de temps qu’il ne faut à cette pensée pour arriver à son esprit, elle est ivre, ces gestes trébuchent d’abord puis ce sont ses réflexions qui titubent.
Comme elle est aveugle…, hé bien non, rien de plus, elle est bourrée, ce qui est exactement la même chose que pour n’importe quelle autre jeune femme. La tête qui tourne, quand elle se lève trop vite, pour aller elle ne sait pas où. Une lampe qui tombe au sol qu’il faudra ramasser. La lampe pour les invités, éteinte le plus souvent, mais dont elle aime le contact de l’abat-jour en tissu plissé.
Et une pause, une très longue pause, accrochée au dos d’une grande chaise en velours, comme au bastingage de son salon, devenue radeau chahuté par les vapeurs de l’alcool. Et puis terre, terre crie une vigie moins malade que le reste du mobilier, l’odeur de vieux cuir du vieux fauteuil club qui la rassure. Elle se rassoit sur son gros coussin, où elle retrouve l’empreinte de son propre corps. Il est là, son fauteuil, refuge, médecin, parfois bras d’un amant d’un soir.
La houle de l’alcool, maintenant bercement d’une maman, elle attend le sommeil.
Ici dans son appartement où tout y est toujours si visible pour elle, elle se regarde avec sa cécité.
Elle, pour qui les yeux fermés n’ont jamais été une protection, attend le sommeil pour se fuir, mais il l’ignore.
Elle se sent, le vermouth, la sueur sous ses bras, son haleine.
Elle se sent, le poids de sa jambe gauche qui pèse sur la droite, ses orteils recroquevillés, ses ongles enfoncés dans son crâne, les bruits aussi, les siens et les autres, son souffle qui la terrorise, respiration d’une vie qui la poursuit l’obligeant à de si tristes et banales journées, le battement de son cœur qui résonne écrasant toutes les autres musiques du rythme binaire du tambour.
Elle se voit, se sent s’entend mourir dans ce fauteuil club à l’odeur de vieux cuir qui doit avoir le même âge qu’elle. Elle meurt.
« Elle meurt et je me lève.
Et je reste morte en même temps.
Je me laisse dans cet appartement, et n’emporte rien même pas mon prénom.
Ce soir en claquant la porte je cherche un nouveau prénom. Je laisse, les clés dans le vide poche et cette vie à marcher à tâtons avec sa canne. Maintenant je marcherai, accrochée aux murs, aux gens, à mon nouveau prénom. Il me faudra du temps pour le trouver. Je veux qu’il tombe comme une évidence. Je veux qu’il me coûte pour le mériter. Je veux qu’il soit mon seul bien, mon seul vêtement. »
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