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Monsieur Fenouil de Claire Hoffmann

Le contrat était simple. Ordinaire. Un mail avec le nom du type dont je devais m’occuper : Gustave Fenouil. Je l’avais casé entre la poire et le fromage.

Littéralement.

J’étais sortie du restaurant au moment du trou normand et j’avais pénétré dans l’arrière-cour pour faire un trou dans la tête de M. Fenouil.

Je l’ai trouvé là, dans sa triste banalité, en train de vider les poubelles. Le truc, c’est qu’il s’est retourné, qu’il m’a regardée et que le souvenir de mes 15 ans m’a aussitôt coupé le souffle.

C’était Gustave, mon premier amour.

Monsieur Fenouil - Création atelier

•••

– Voilà un homme qui a cru en ses idées.

Gustave ne réagit pas, méfiant. Était-ce encore un de ses tests vicelards ?
Mathilde était plantée devant l’un des nombreux Jésus sanguinolents de la galerie. Était-elle si fascinée par le sang ?

– Gustave, regarde son visage ! insista-t-elle. Regarde cette souffrance dont la beauté imprègne ses traits, illumine son visage…

Elle soupira d’émoi.

« Elle a pété un câble. Burn-out professionnel… Trop de contrats cette semaine », pensa Gustave en promenant son regard sur le court suaire du Christ tout en songeant vaguement que l’artiste avait dessiné un suaire bien trop sexy pour être honnête et…

– Gustave, reprends-toi ! s’exclama-t-il à haute voix. Aïe… 
Mathilde braqua sur lui un regard froid.

– C’est un musée Gustave, respecte ce lieu. Cela me déçoit beaucoup que tu ne saches pas apprécier une telle beauté.

Gustave déglutit et fixa l’œuvre avec une intensité qu’il espérait convaincante.

– C’est l’allégorie parfaite de notre métier, Gustave. Le sens du sacrifice. L’acceptation de la souffrance du monde. La volonté de remettre l’homme dans le droit chemin.

– Oui sauf que nous, on fait des trous dans les gens et que lui les as reçus de bon cœur.

– Gustave, ferme-la et admire.

•••

Ils avaient fait l’amour toute la nuit.

Mathilde avait la tête posée sur le torse chaud de Gustave. Elle avait si souvent rêvé de ce moment. Depuis leur premier baiser pendant l’été 1993, avant qu’il ne déménage pour la stupide ville de Clermont-Ferrand. S’il était resté, serait-elle devenue tueuse à gages ? Certainement pas. Il aurait étouffé de toute sa douceur ses velléités destructrices.

A l’extérieur, elle n’était que langueur et amour, sa main caressant doucement la jugulaire de son amant. A l’intérieur, c’était le chaos. Qui lui nouait la gorge jusqu’à faire poindre les larmes. Il était toujours M. Fenouil, et elle trainait ce contrat inachevé depuis de trop longues semaines.

Monsieur Fenouil - Dessins

« Tu es idiot… Tu es un crétin… Tu ne sais rien faire », avaient été ses mots les plus tendres à l’encontre de son amant. Elle avait proposé de l’embaucher en prétextant un regain d’activité (« Trop de divorces qui traînent, des contrats à la chaîne », avait-elle dit). Mais en réalité, c’était juste pour être à ses côtés.

Son grand dadet. Son charmant naïf qui lui donnait envie de tout balancer pour partir à l’autre bout du monde. Sauf que les flingues de la plus grosse famille de la ville la cernaient. Un coup de fil venait de lui rappeler son manque de professionnalisme. Les Fenouil ne devaient jamais hériter, à commencer par Gustave.

Monsieur Fenouil - agent

– Tu pleures ? » demanda ce dernier en la prenant doucement par le menton.
– Non, ne t’inquiète pas, dit-elle en écrasant sa bouche sur la sienne.
L’angoisse faisait trembler sa main qu’elle avait d’habitude si sûre. C’était le contrat le plus difficile de toute sa vie.

Elle fit glisser ses mains autour du cou de son amant, repéra sa jugulaire et serra très fort, en retenant un sanglot.

•••

– « Romarin et Fenouil associés », qu’est-ce que tu en penses ?

Gustave accrocha la plaque brillante sur la porte et se retourna vers Mathilde avec un sourire de gosse.
– C’est génial. C’est même parfait, dit-elle en tentant de cacher son émotion. Même s’il faudra probablement que je tue tous les clients qui vont découvrir mon vrai nom !
– Alors il faudra que je t’aide parce que moi tu m’as loupé, dit-il en riant.

Et ils s’embrassèrent passionnément devant la vitre fumée de leurs nouveaux locaux de détectives privés.

——– Ecrit par Claire Hoffmann

 

Claire a participé à l’atelier d’un atelier d’écriture animé par Théo Pucheu. L’atelier était placé sous la thématique de la passion et permettait d’aborder les étapes du récit.


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