Pyrotechnie d’Amélie Favre-Rochex
Pyrotechnie
Probablement. Je suis agressive et je ne m’en rend pas compte. Est-ce réellement de la colère où simplement une tristesse déguisée en sorcière ?
C’est certainement plus simple de se dire qu’être en colère c’est être fort, alors qu’être triste c’est être faible. La colère gronde mais je garde le dessus, le contrôle, non, je ne suis pas triste. Il n’y a pas de larmes dans le coeur.
Les battements cognent dans ma cage thoracique. Ils cognent, ils donnent des coups. Ils font le bruit d’un tremblement de terre et me secouent la tête. Je n’ai pas d’hématome, pas encore. Ca ne tourne pas rond. Ca tourne en rond.
Si tu me tiens la main je mords. Je suis cet animal sauvage qui respire trop fort, qui te regarde dans le noir, qui observe sa proie. Le chat se laisse caresser puis il mord. Il ne sait pas gérer ses émotions, tout part en vrille. Il faut s’y faire. Un ronron. Un coup de tête. Un coup de griffe. L’amour, la haine et la violence. Se préserve-t-il de l’inconnu ? Une carapace qui qui permet à la confiance de grandir sans lumière.
L’espace se restreint et la colère s’enflamme, parce qu’on ne voit rien dans le noir. Plus j’avance, plus j’ai peur. Le rejet comme virus, je ne te regarderais plus dans les yeux. L’indifférence comme médicament, j’avance pour mieux reculer. Je te regarde pour te voir partir et je crie silencieusement pour que tu reviennes, pour que tu te battes, sur le ring, avec moi, seuls.
Je ne suis pas juste, j’exagère, je déborde et tout s’enflamme. J’ai peur du feu, quand tout brûle je fuis mais j’ai toujours dans ma poche une boîte d’allumettes. Je suis devenue experte en pyromanie, en pyrotechnie. J’ai toujours aimé les feux d’artifices, ça a un goût de magie, tu ne trouves pas ? C’est romantique, les lumières. Les flammes que tu regardes brûler, les yeux hypnotisés, le crépitement qui te chauffe le visage comme la fièvre d’un malade. Je ne suis pas malade. Je suis en vie. Je ressens beaucoup trop. Quand je ferme les yeux et que je ne vois rien d’autre que l’angoisse, je garde les yeux ouverts et j’ai chaud.
J’ai chaud mais je grelotte, le paradoxe. Je suis un paradoxe. Depuis toujours. J’ai mis du temps à faire des choix. Madame indécise. C’était bien simple de critiquer, je n’avais jusqu’alors rien choisi, j’avais subi. Comment prendre une décision quand tu dépends des choix des autres ? On m’avait habitué à dire oui. Ou à ne rien dire. Oui, je ne dis rien. Non, dans le fond de ma tête.
Faire semblant de croire ce que l’on dit. Voilà ce que l’on m’a appris à faire. Dans mon indécision, le silence. Le néant. Le vide. Rien. Nada. Je me noyais dans ce que je ne connaissais pas. J’ai pourtant grandi au bord de l’eau. Apprendre à nager n’empêche pas de boire la tasse.
La peur de l’inconnu. Faire attention, tout le temps. Etre aux aguets. Avoir peur, c’est comme cela que l’on devient vigilant. Eviter les risques. Paniquer pour rien. C’est comme ça que l’on se protège. On a peur de tout et c’était la marche à suivre.
J’ai grandi avec une boule au ventre et des plaques d’exéma sur les cuisses. Une façon de dire que j’avais quelque chose à dire. Quoi ? Je ne sais pas. On ne parlait pas. Ce qu’on a sur le coeur, on ne le dit pas. Comme un tatouage sur la peau, on réfléchis avant de le faire, parce que ça reste pour toujours. Ce qu’on dit aussi. Ce que l’on ne dit pas encore plus. Mes émotions fanaient, bêtement, froidement dans un corps qui me démangeait sans cesse.
Je n’ai pas appris à me taire, c’était une institution, un programme sans option, un cachet que l’on avale et qu’on laisse agir, sans se poser de question. La vie passe. Les événements s’enchainent mais rien est grave. C’est comme ça.
On garde les yeux ouverts et l’on se ferme le coeur. On construit sa muraille intérieur, avec du matériel solide qu’on choisi par défaut parce qu’il résiste aux attaques, à la pluie et surtout à la tempête. Alors on écoute le tonner gronder, au chaud sous la couette, parce qu’ici on ne devrait pas avoir peur. Le chauffage se coupe et le vent fait vibrer les fenêtres. Je regarde l’horizon mais le brouillard me gâche la vue. J’ai envie de voir la mer. Je ne vois que les bateaux s’abîmer sur une eau agitée. Je tire les rideaux et je me rendors. J’ai du mal a respirer. Ce n’est pas grave. Rien est grave. La couette est douce et la musique me permet de ne plus penser. Elle panse pour moi, avec douceur, les rêves qui s’animent ailleurs. Un jour, tout ira mieux. Je ne le sais pas encore. Ca ne va pas. Je n’ai pas le droit de m’en rendre compte. Je ne ressens rien, même pas le sel qui coule sur mes joues. Ce ne sont que des allergies après tout.
▶ Amélie Favre-Rochex participant.e aux ateliers d’écriture que nous proposons.
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