Métalepse et autres
Dans cet article je vais tenter de définir plusieurs éléments de narratologie pour recontextualiser et délimiter la métalepse. Je reviendrai sur la notion de mise en abyme que l’on peut parfois confondre avec la métalepse et, par extension, la fractale.
Tout d’abord, je rappelle ce qu’est la narratologie : C’est la science des structures du récit. Elle analyse tous les textes littéraires sous l’angle du sens, des personnages, du narrateur, du temps, de la langue, des signes…
Pour tenter de comprendre la métalepse, nous avons quelques termes importants à connaître (mais pas forcément à retenir, il n’y a que les érudits qui les retiennent) :
Diégétique :
C’est l’espace ainsi que le temps dans lequel se déploie une fiction. Relatif à la diégèse qui est le fait de raconter les choses. (Exemple : Un orchestre joue dans la rue, dans une scène de film.)
Extradiégétique :
Comme son préfixe l’indique c’est ce qui est hors de la narration, par exemple le narrateur omniscient. (Exemple : Une musique recouvre une scène pour symboliser la mélancolie du personnage, sans qu’il y ait de source visible.)
Intradiégétique : Ce qui est relatif à l’intérieur de la narration. Par exemple, ce que vont entendre ou sentir les personnages dans le récit.
Métadiégétique : Ce qui rapporte au récit dans le récit. Par exemple, les contes des Mille et une nuits procèdent d’une multitude de récits dans le récit.
Ceci défini, ce n’est pas la partie la plus importante, non, maintenant attelons-nous à la tâche de comprendre la métalepse.
La métalepse :
Du grec μετάληψις metalêpsis : « changement, échange » ; comprenez metalepsis, comme toutes sortes de permutations.
Elle est avant tout une figure de style (ou de rhétorique) qui substitue l’expression indirecte à l’expression directe. Elle fait entendre une chose par une autre, en cela elle est très proche de la métonymie. Par exemple : « il a vécu » pour dire « il est mort » ou « je ne vais pas vous déranger plus longtemps » pour dire « je m’en vais ».
Mais revenons à nos petits oignons… Quoique je doive encore faire une digression et vous parler de Gérard Genette. C’est l’un des plus grands théoriciens de la langue française, l’un des fondateurs de la narratologie et peut-être « l’inventeur » de la métalepse. Dans son ouvrage éponyme, il tente de la définir et de la démontrer. Mais déjà en 1972 dans son livre Figures III, Genette disait ceci :
« Le passage d’un niveau narratif à l’autre ne peut en principe être assuré que par la narration […]. Toute autre forme de transit est, sinon toujours impossible, du moins toujours transgressive […]. [Par exemple] toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans un univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.), ou inversement […]. Nous étendrons à toutes ces transgressions le terme de métalepse narrative. » (Genette 1972 : 244).

Alors je vais tenter à mon tour de définir la métalepse littéraire :
C’est l’interruption du narrateur extradiégétique dans l’univers diégétique. Ce qui veut dire toutes les manières dont le récit peut briser ses propres seuils, que ce soit dans celui-ci ou à l’extérieur. La fiction transgresse les différentes strates narratives, les frontières sont franchies, il y a une intrusion entre celles-ci.
La métalepse est une figure de transgression entre niveaux narratifs qui a pour effet d’impliquer le lecteur et de le rendre actif dans la lecture du texte.
La métalepse répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
- dynamiser la narration ;
- jouer sur les différents seuils d’énonciation.
Trop de jargons ? Pour le résumer simplement : « le fait qu’un récit s’interrompe pour mettre en scène le narrateur et / ou le lecteur », auquel on peut ajouter l’auteur lui-même ! (« Lexique des termes littéraires », Le Livre de Poche).
Passons aux exemples :
► On retrouvera ainsi facilement un récit dans le récit comme dans les Mille et une nuits !
► Continuité des parcs, nouvelle, Julio Cortazar : Nous découvrons que le personnage qui lit le livre est en fait l’un des personnages du livre en question.
► L’auteur et moi, Éric Chevillard, Editions de Minuit : L’auteur commente sa propre narration, à travers des notes de bas de page très prolixes et présentes !
► Voici un exemple concret de métalepse narrative : le film La Rose pourpre du Caire de Woody Allen ! Un personnage sort de l’écran pour rejoindre le monde « réel » que, nous, spectateurs, découvrons derrière un écran.
► L’autre, nouvelle, Jorge Luis Borges : C’est la rencontre de l’auteur avec son double dans la réalité, la frontière avec le fantastique est très légère. Cet effet de transgression entre les frontières du réel et de la fiction pose la question de la métalepse.

« Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuit dans le livre des Mille et Une Nuit ? Que Don Quichotte soit lecteur du Quichotte et Hamlet spectateur d’Hamlet ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons être des personnages fictifs. En 1833, Carlyle a noté que l’histoire universelle est un livre sacré, infini, que tous les hommes écrivent et lisent et tâchent de comprendre, et où, aussi, on les écrit. »
Norges, Magie du Quichotte« Un livre, donc – sacré, je ne sais, infini, j’en doute un peu, où quelqu’un (mais qui ?) sans cesse nous écrit, et parfois aussi, et toujours finalement, nous efface. C’est là, peut-être, faire inconsidérément endosser à une simple figure un peu plus qu’elle n’y songeait, mais sait-on jamais vraiment à quoi songe une figure ? » (Genette 1972 : 244).
Avant de parler de la mise en abyme, je voulais juste rappeler ce qu’est une fractale.
Définition fractale :
En 1975, Benoît Mandelbrot définit le mot fractal pour y intégrer tous les objets irréguliers qui ne peuvent être définis par la géométrie.
Une figure fractale est un objet mathématique infiniment morcelé qui présente une structure similaire à toutes les échelles. Il y a cet effet de récursivité que l’on peut retrouver dans les poupées russes : théoriquement elles pourraient se répéter à l’infini de manière plus ou moins identique (il n’y a que la taille qui varie).

Définition de la mise en abyme (abîme, abime, abysme) :
C’est un procédé artistique qui permet de représenter une œuvre dans une œuvre comme le film dans le film ou l’image dans l’image. Si j’ai défini la fractale précédemment c’est justement parce qu’on retrouve cette idée d’« autosimilarité » avec l’effet de récursivité, une répétition infinie ou effet miroir.
En littérature, le principe reste le même, on retrouve une œuvre principale dans laquelle on insère une œuvre du même type pour créer un effet d’écho, miroir. Ça peut-être une œuvre mais aussi des éléments de celle-ci comme une thématique, un personnage, une action…
On différencie la mise en abyme des récits-cadres comme les conte des Milles et Une Nuits dans lequel le personnage raconte un récit à un autre personnage.
Exemples :
Prenons par exemple la Vache qui rit ! La boîte de Vache qui rit portant des boucles d’oreille boîte de Vache qui rit dans laquelle une vache qui rit portant des… Il ne s’agit pas d’un placement de produit, mais d’une représentation de la mise en abîme : un effet d’emboîtement ! Ça donne le tournis ? Un peu, certes. Pourquoi ? Ce vertige est provoqué par cet effet de récursivité qu’on retrouve dans les figures fractales.
Dans le cinéma nous retrouvons souvent des mises en abyme :
- Joaquin Phoenix dans I’m Still Here : Il joue son propre rôle mais avec une part fictionnel, il serait complètement dépravé.
- John Malkovich dans Dans la peau de John Malkovich : Comme le titre l’indique, l’acteur John Malkovich joue son propre rôle.
- Johnny Halliday dans Jean-Philippe : Dans un univers parallèle où Johnny ne serait pas Johnny.
En littérature il y a un exemple de mise en abyme très connu, Don Quichotte dont le sujet du roman est ledit roman.
“Je pense que la métalepse elle-même est un fait marginal dans le champ des pratiques narratives, et, bien plus généralement, des pratiques représentatives, artistiques ou non : elle y fonctionne comme une transgression ludique, ce que n’est pas au même degré la « mise en abyme », et encore moins la simple représentation au second degré, même si ces pratiques fournissent la plupart des occasions de métalepse : pour franchir ludiquement un degré, il faut évidemment qu’un degré ait été posé.”
Gérard Genette LA MÉTALEPSE. DE LA FIGURE À LA FICTION – Entretien
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